samedi 30 juin 2012

EHPAD

Je n'aime pas les EHPAD.
J'y ai pourtant plusieurs patients. J'essaye de prendre le temps quand j'y vais. Ne pas y arriver à l'heure des repas. Pas trop tard non plus, parce qu'il m'attendent toute la journée, j'en suis sûr, quand ils savent que je dois passer.
J'essaye donc de prendre le temps de discuter un peu. De savoir ce qu'ils ressentent, comment ils vont.
De les faire parler de leur famille, souvent. Retenir les prénoms de leurs petits enfants (et vous savez que les prénoms et moi, c'est pas gagné d'avance).
De les écouter, tout simplement. Parce que parfois le médecin est la seule "visite" qu'ils reçoivent dans le mois.
Je passe même tous les quinze jours pour certains. Il n'y a pas particulièrement de justification médicale. Ils me l'ont demandé. J'ai cru comprendre ou ressentir qu'ils en avaient "besoin". J'ai accepté.


Je les trouve très attachants. Tous.


Mais je n'aime pas les EHPAD.


Toutes les équipes que j'y rencontre ont pourtant toujours le sourire, malgré des conditions de travail parfois difficiles.
Elles ont une patience d'ange, quand le résident dément vient leur poser la même question pour la dixième fois de la journée.


Je les admire. Tous.


Mais non, je confirme, je n'aime pas les EHPAD.


Les locaux sont souvent neufs, ou ont été rénovés. Les peintures sont propres. Les salles de vie en commun agréables et conviviales.
Même si parfois j'ai l'impression que la salle de vie en commun est plus une salle pour passer le temps en commun, sans réelle interaction les uns avec les autres. Le système est bâti comme ça. Les moyens humains sont trop peu nombreux pour espérer moins d'isolement.
Mais les locaux, eux, sont agréables.


Je pourrais les trouver agréables. Pourtant, non, définitivement, je n'aime pas les EHPAD.


Rien à voir avec le contrat qu'on avait voulu faire signer aux libéraux. Je ne l'ai d'ailleurs pas paraphé, et j'en suis très satisfait.


Non, je n'aime pas les EHPAD pour autre chose.
Un peu plus personnelle.
Mais qui me terrifie.


Je n'aime pas les EHPAD parce qu'à chacune de mes visites,  je suis confronté à mon propre vieillissement.
D'accord, mon blog est celui d'un "jeune médecin généraliste", j'ai encore le temps d'arriver en EHPAD. D'un autre côté, j'ai l'impression d'avoir commencé mes études de médecine hier, et pourtant quand je vais à la Fac, on m'appelle "monsieur" et on me dit "vous" maintenant...


Mais, si d'aventure je devais finir mes jours dans un Etablissement d'Hébergement pour Personne Agée Dépendante, c'est le D qui me posera problème.
Quel sera mon degré de dépendance ? Comment vais-je vieillir ?


Acutellement, toute semaine défile à un rythme soutenu. J'ai le don de particulièrement charger ma barque. Le boulot, les cours, les réunions, les gardes, la chorale. Et comme je m'ennuyais encore un peu, un petit blog.
J'ai même hérité du surnom de "l'homme poulpe hyperactif" par ma chère et tendre, tellement, paraît-il, je ne sais pas rester sans rien faire.


Un jour un ami m'a dit "la peur de rester sans rien faire, c'est un peu une peur de mourir". Je n'arrête pas d'y penser depuis.


Oui, en fait, il a raison. C'est cela dont j'ai peur. C'est ce qui me terrifie.


Mourir, physiquement et/ou mentalement.
Ne plus pouvoir faire tout ce que je veux faire.


Certaines personnes se sentent incroyablement bien dans leur EHPAD. Ils y ont trouvé leur point d'équilibre.
Ils ne sont pas les plus nombreux.


Alors, je n'aime pas les EHPAD juste parce que je n'ai pas envie d'y finir mon existence.
Avoir une vie sociale qui serait faite de moments en commun dans une salle de vie commune, pour faire passer le temps.


Et là-bas, attendre la visite mensuelle de mon médecin.


En espérant qu'il aura un peu le temps de m'écouter.


Même si je risquerai de voir, au fond de ses yeux une forme de terreur beaucoup trop familière.

1 commentaire:

  1. Ah mais voilà, tout pareil que moi! L'ehpad me terrifie, ça s'arrange un peu mais je trouve ça triste, tellement triste

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