Je n'aime pas les EHPAD.
J'y ai pourtant plusieurs patients. J'essaye de prendre le temps quand j'y vais. Ne pas y arriver à l'heure des repas. Pas trop tard non plus, parce qu'il m'attendent toute la journée, j'en suis sûr, quand ils savent que je dois passer.
J'essaye donc de prendre le temps de discuter un peu. De savoir ce qu'ils ressentent, comment ils vont.
De les faire parler de leur famille, souvent. Retenir les prénoms de leurs petits enfants (et vous savez que les prénoms et moi, c'est pas gagné d'avance).
De les écouter, tout simplement. Parce que parfois le médecin est la seule "visite" qu'ils reçoivent dans le mois.
Je passe même tous les quinze jours pour certains. Il n'y a pas particulièrement de justification médicale. Ils me l'ont demandé. J'ai cru comprendre ou ressentir qu'ils en avaient "besoin". J'ai accepté.
Je les trouve très attachants. Tous.
Mais je n'aime pas les EHPAD.
Toutes les équipes que j'y rencontre ont pourtant toujours le sourire, malgré des conditions de travail parfois difficiles.
Elles ont une patience d'ange, quand le résident dément vient leur poser la même question pour la dixième fois de la journée.
Je les admire. Tous.
Mais non, je confirme, je n'aime pas les EHPAD.
Les locaux sont souvent neufs, ou ont été rénovés. Les peintures sont propres. Les salles de vie en commun agréables et conviviales.
Même si parfois j'ai l'impression que la salle de vie en commun est plus une salle pour passer le temps en commun, sans réelle interaction les uns avec les autres. Le système est bâti comme ça. Les moyens humains sont trop peu nombreux pour espérer moins d'isolement.
Mais les locaux, eux, sont agréables.
Je pourrais les trouver agréables. Pourtant, non, définitivement, je n'aime pas les EHPAD.
Rien à voir avec le contrat qu'on avait voulu faire signer aux libéraux. Je ne l'ai d'ailleurs pas paraphé, et j'en suis très satisfait.
Non, je n'aime pas les EHPAD pour autre chose.
Un peu plus personnelle.
Mais qui me terrifie.
Je n'aime pas les EHPAD parce qu'à chacune de mes visites, je suis confronté à mon propre vieillissement.
D'accord, mon blog est celui d'un "jeune médecin généraliste", j'ai encore le temps d'arriver en EHPAD. D'un autre côté, j'ai l'impression d'avoir commencé mes études de médecine hier, et pourtant quand je vais à la Fac, on m'appelle "monsieur" et on me dit "vous" maintenant...
Mais, si d'aventure je devais finir mes jours dans un Etablissement d'Hébergement pour Personne Agée Dépendante, c'est le D qui me posera problème.
Quel sera mon degré de dépendance ? Comment vais-je vieillir ?
Acutellement, toute semaine défile à un rythme soutenu. J'ai le don de particulièrement charger ma barque. Le boulot, les cours, les réunions, les gardes, la chorale. Et comme je m'ennuyais encore un peu, un petit blog.
J'ai même hérité du surnom de "l'homme poulpe hyperactif" par ma chère et tendre, tellement, paraît-il, je ne sais pas rester sans rien faire.
Un jour un ami m'a dit "la peur de rester sans rien faire, c'est un peu une peur de mourir". Je n'arrête pas d'y penser depuis.
Oui, en fait, il a raison. C'est cela dont j'ai peur. C'est ce qui me terrifie.
Mourir, physiquement et/ou mentalement.
Ne plus pouvoir faire tout ce que je veux faire.
Certaines personnes se sentent incroyablement bien dans leur EHPAD. Ils y ont trouvé leur point d'équilibre.
Ils ne sont pas les plus nombreux.
Alors, je n'aime pas les EHPAD juste parce que je n'ai pas envie d'y finir mon existence.
Avoir une vie sociale qui serait faite de moments en commun dans une salle de vie commune, pour faire passer le temps.
Et là-bas, attendre la visite mensuelle de mon médecin.
En espérant qu'il aura un peu le temps de m'écouter.
Même si je risquerai de voir, au fond de ses yeux une forme de terreur beaucoup trop familière.
samedi 30 juin 2012
Nice 2012
C’est chaque fois la même histoire. Cela en deviendrait presque lassant tellement je suis prévisible. La veille du départ, je me pose toujours la même question : Pourquoi me suis-je inscrit à ce congrès ?
Après
tout, des formations médicales, on en trouve un peu partout, y compris à
quelques kilomètres de chez moi.
Alors
pourquoi celle-là ? Bon, les deux années précédentes, j’étais revenu
enchanté, bien sûr, mais ça doit être mon caractère un peu casanier qui veut me
donne ce doute sur mon envie de partir…
Et
puis, le jour J arrive, la veille du début officiel du congrès. Quelques
réunions, on s’acclimate. J’ai fait le trajet avec des collègues de Fac qui
sont plus devenus des amis que de simples collègues. La première soirée s’étiole
paisiblement. Je tente de ne pas me coucher trop tard (c’est plus de mon âge de
prendre le train à 06h…)
Tadam !
Ouverture officielle du congrès et là, premier choc : plus de 2500
participants. 2500 médecins généralistes au même endroit ? C’est bien une des
rares fois que j’en vois autant d’un coup. (Espérons qu’il ne nous arrive rien
d’ailleurs pendant ce congrès, sinon, bonjour le système de santé
français !)
Serions-nous
donc nombreux à exercer ce merveilleux métier et à venir se former pour essayer
de le faire encore mieux ?
Commencent
les séances et les ateliers. On me parle de médecine générale. Entendons-nous
bien, il ne s’agit pas de spécialistes d’une autre discipline que la mienne qui
viendraient m’apprendre à pratiquer un métier qu’ils n’exercent pas. Non, ce sont
des généralistes comme moi, confrontés aux mêmes problématiques. Ils me parlent
« un langage » que je connais et comprends.
La
séance se termine, très enrichissante, et je me dis que si la suite est du même
niveau, je devrais y trouver mon compte sans trop de problème.
Je
me souviens que l’année dernière, après une petite pause, j’avais entendu
parler médecine générale avec un accent québécois très « glamour »
comme ils disent là-bas. Ils m’avaient apporté un regard différent sur ce
métier que nous avons en commun. Et je m’étais aperçu que nous partagions
beaucoup de points communs concernant ce qu’ils appellent « la médecine
familiale » chez eux …
Arrive
la pause repas… tout a été prévu par les organisateurs du congrès, même si c’est
un peu la cohue à certains endroits. Mais rien ne presse. J’ai donc tout le
temps de discuter avec les collègues du Collège des Enseignants de Médecine
Générale de Lille, mais également au détour d’une allée, avec les responsables
du Collège National. Et il faut reconnaître que c’est un réel plaisir de mettre
un visage sur un nom quand en plus ce visage est souriant. Finalement, mes
inquiétudes de la veille semblent déjà lointaines.
Au
milieu de tout cela, je trouve (ou plutôt je prends) le temps de Tweeter… ça
c’est la nouveauté de l’année en ce qui me concerne. Une keynote entièrement en
anglais. Je prends un pied phénoménal (ben oui, en fait, depuis que je suis en
4è je regarde des films en VO sans sous-titre… et ben là c’est pareil). Je
re-tweete. Je sors de l’amphi. Re-tweet cette fois-ci @Borée pour savoir où est
vendu son livre (je me suis retenu de l’acheter avant le congrès, parce qu’ici
j’allais pouvoir le faire dédicacer : la classe !). Et par hasard, je
le rencontre en chemin. Mais aussi Gélule, qui m’avait envoyé un petit message
sympa déjà lors du congrès de Bordeaux après ma présentation orale (j’étais
plutôt stressé, faut bien avouer, mais apparemment, j’avais l’air décontracté…
ça sert d’avoir fait un peu de théâtre…). Nous avons discuté. Ils ont dû me
prendre, avec Dr Foulard, pour un gamin que l’on aurait déposé dans un
magasin de bonbons : j’étais tellement content de les rencontrer, eux, que
je connaissais par leurs blogs, que de les voir dans la vraie vie m’a fait
perdre mon flegme « habituel ». (Au fait, désolé de vous avoir
monopolisé comme ça).
Après
cet après-midi studieux, retour à l’hôtel. Ah c’est vrai, il fait beau à
Nice ! On pourrait même manger en terrasse ce soir, non ? Comme si
quelqu’un avait lu dans mes pensées, on me propose un rendez-vous le soir même
pour un repas entre enseignants.
Un
petit repas en terrasse, pour discuter de l’enseignement de la Médecine
Générale, et continuer cette journée déjà bien remplie ? Je ne dis pas
non. Et puis, comme je l’ai dit, ils sont tous devenus des amis plutôt que
des collègues enseignants.
Comme
si cette journée n’avait pas été suffisamment ponctuée d’évènements étonnants,
le repas réserve lui aussi quelques surprises. Je m’attendais quand même à
discuter d’enseignement (vous savez, avec plein de mots compliqués que je ne
maîtrise pas encore mais que tout le monde semble avoir intégré, comme une
sorte de seconde langue pleine de termes ultra-savants et tout et tout), que
nenni ! Nous parlons loisirs, famille, échangeons quelques anecdotes de
patients, quelques histoires de chasse, des histoires drôles… bref, un pur
moment convivial autour d’un bon repas en terrasse. Et là, je commence à
percevoir que, alors que je pensais exercer ma spécialité dans mon cabinet, un
peu isolé, vivant des choses que j’étais sûrement un peu le seul à vivre, nous
sommes nombreux dans cette spécialité et appartenons, sans doute sans vraiment
s’en rendre compte, à cette grande famille qu’est la médecine générale. Je ne
suis pas seul sur le bâteau.
De
retour à l’hôtel, je jette un coup d’œil au programme des séances du lendemain
et sélectionne les thèmes qui m’intéressent. Il est donc temps de dormir… Oui,
mais bon, je peux lire un peu… j’ai un bon bouquin que je viens d’acheter, ce
serait dommage de ne pas le commencer…
A
l’aube du deuxième jour de congrès, mon troisième sur place, et après un petit
déjeuner en terrasse également (oui, il faut le signaler parce que pendant ce
temps-là, à Lille, il fait moche… n’est-ce pas ma chérie ?), je me remets
en route pour le Palais des Congrès de Nice (promenade digestive de 5 minutes
sous le soleil, on a connu pire comme trajet). Bon, j’avais mis la veste pour
faire sérieux… l’année prochaine, j’en prendrai une climatisée.
Et
la deuxième journée s’égraine comme la première, au gré de communications
orales et d’ateliers enrichissants. Pendant les pauses, toujours de nouvelles
connaissances (heureusement que nous avons tous un badge avec nos nom et
prénom, parce que retenir tous ces nouveaux noms en si peu de temps, je n’y
arriverai pas ! Je suis vraiment pas doué pour ça…).
Le
soir venu, les chefs de clinique nous ont organisé une soirée sympa. J’ai
hésité à y aller : on ne le croirait pas mais en fait je suis hyper
timide... Je m’occupe de mon détail choc (puisqu’il en fallait un).
Mince !
Il est pas assez choc… la lentille violette ne se voit pas beaucoup finalement.
J’ajoute un peu de crayon style Orange
mécanique… C’est con, je me suis retrouvé dans le rayon maquillage du
supermarché à chercher ce qui allait le mieux convenir… et je n’ai pensé qu’après
la soirée au fait que je n’avais pas de démaquillant…
Petit
détour le long de la plage, en compagnie de Sébastien, méconnaissable (il l’a
réussi son détail choc !). A tel point que je me demande si les lunettes
de soleil que j’arbore (pour cacher le détail choc) sont vraiment nécessaires.
Nous
voici arrivés au restaurant. Tout est remarquablement organisé. Je suis là à la
fois pour le plaisir, mais un peu pour le travail aussi, je dois l’avouer. Il
faut que j’aille saluer tout le monde, me faire « identifier » pour
que certains puissent mettre un visage sur mon nom. C’est quand même un peu
plus sympa, et surtout plus humain, quand le reste de l’année on se contacte par
courriels.
Retour
à la table… Quelques tweets… J’apprécie les choix musicaux (oui, oui, je suis
de la génération 80). Du coup je me lève et je danse (oui vous avez bien lu…
moi… je danse… bon, j’avais bu quelques verres, ça aide à se sentir moins
ridicule…)
Je
discute avec toutes ces nouvelles connaissances que je suis ravi d’avoir eu la
chance de faire. Et puis j’espère qu’ils ne me trouvent pas trop collant. On ne
se refait plus.
Arrive
le moment où quelqu’un (je ne sais plus qui de la bande) lance « On va se
baigner ? ». Il faut dire que certains n’ont pas attendu que l’on se
décide pour y aller.
Et
il semble même que le maillot de bain soit un accessoire pas forcément
indispensable…
Je
ne suis pas très pudique, mais je regrette quand même de ne pas avoir pensé à en
prendre un…
Du
coup, je me replonge dans la timidité, la peur encore d’être trop collant, je
laisse les autres aller au bord de mer et je les regarde se baigner (ils ont
pensé à leur maillot, eux). J’aime bien l’ambiance de cette soirée.
Jusqu’au
moment où quelqu’un me lance « Allez Matthieu, viens ! » sur un
ton que mon petit cerveau décrypte comme un « allez, reste pas tout seul
dans ton coin ! ». Elle a raison. Je le sais. Oh et puis, tant pis,
j’y vais. Se baigner en boxer, c’est pas la mort… et puis l’eau et bonne… et
puis je me lâche… et puis le monde ne s’écroule pas pour autant… je lâche la carapace
trop sérieuse…
Et
je me remets à réfléchir et à me dire que si les journées sont un
enrichissement et une formation professionnels indiscutables, les soirées sont
un enrichissement humain extrêmement agréable. Même plus, indispensable.
Retour
à l’hôtel, téléphone main droite pour tweeter, boxer mouillé main gauche (et je
ne suis pas le seul dans ce cas dans la rue, ça fait plaisir, j’avoue). Quand j’arrive
à l’hôtel, et que je demande un taxi pour le lendemain matin, je mets quelques
minutes à comprendre pourquoi l’hôtesse me regarde bizarrement… Espérons que le
maquillage parte à l’eau et au savon…
Le samedi matin arrive : il est temps de reprendre l’avion pour Lille (au fait,
il fait quel temps là-bas ?). A l’aéroport, bonne surprise, en attendant
d’embarquer, on rediscute avec ces nouvelles connaissances que je suis
tellement content d’avoir faites. Tellement content que pour leur dire au
revoir, je leur fais la bise. Ben oui, je me lâche, on est tactiles dans le
nord. On est tactiles aussi dans mes racines tout au sud. Deux raisons-excuses.
Dans
l’avion qui me ramène auprès des miens et que j’ai hâte de revoir, je passe en
revue tous les évènements. Mon appréhension d’avant congrès n’est plus qu’un
souvenir me faisant sourire tant elle n’était pas justifiée. Et pourtant je
sais que je la revivrai au prochain congrès. Je rentre avec plein d’éléments me
permettant, je l’espère, d’être un meilleur médecin, ou en tout cas, d’avoir
envie de le devenir.
Je ne peux m’empêcher de penser à ce sentiment d’appartenance à cette famille qu’est
la Médecine Générale. Je m’en étais déjà un peu rendu compte… mais pas autant…
Et
si tous les médecins généralistes français en prenaient conscience ? Quel
formidable poids aurions-nous ! Notre spécialité si souvent décriée serait
alors défendue par un nombre incroyable de représentants, plus passionnés les
uns que les autres !
Je
finis alors, sourire aux lèvres, en paraphrasant le Général De Gaulle (oui,
quand j’ai peu dormi pour cause de bringue arrosée, j’en deviendrais presque
mégalo) « Le jour où les médecins généralistes s’éveilleront… »… en
espérant être présent ce jour-là !
vendredi 29 juin 2012
Je me lance...
Parce que je pense à mes racines
Parce que j'aurais aimé le guérir quand j'avais neuf ans
Parce que je trouvais qu'elle ne méritait pas ça quand j'en avais 14
Parce que je voulais du coup être neurochir en m'inscrivant en P1
Parce qu'en P2 je savais très bien que ce serait la médecine générale
Parce que je n'aime pas parler beaucoup de moi d'habitude
Parce qu'il faudrait que je me fasse plus confiance
Parce que certains ont cru ou croient en moi, bien avant moi-même
Parce que je ne peux pas ou plus tout garder en moi
Parce que je serai peut être un peu moins râleur à la maison pour ma femme et mes 3 zèbres
Parce que cela m'aidera à mieux me comprendre
Parce que Borée
Parce que Jaddo
Parce que Gélule
Parce que Dr Foulard, DocAste...
Parce que tous les Twittos et ce que nos échanges représentent
Parce que Elle, Lui, Eux
Parce que si j'attends d'avoir fini d'écrire ce roman commencé il y a quelques années, ça risque d'être trop long
Parce que la vie est incontrôlable, toujours trop courte
Parce que j'ai peur du mot fin
Parce que "vouloir toujours cacher aux autres ses failles", ça me parle, peut être parce qu'il a les mêmes racines insulaires
Parce que...
Parce que j'aurais aimé le guérir quand j'avais neuf ans
Parce que je trouvais qu'elle ne méritait pas ça quand j'en avais 14
Parce que je voulais du coup être neurochir en m'inscrivant en P1
Parce qu'en P2 je savais très bien que ce serait la médecine générale
Parce que je n'aime pas parler beaucoup de moi d'habitude
Parce qu'il faudrait que je me fasse plus confiance
Parce que certains ont cru ou croient en moi, bien avant moi-même
Parce que je ne peux pas ou plus tout garder en moi
Parce que je serai peut être un peu moins râleur à la maison pour ma femme et mes 3 zèbres
Parce que cela m'aidera à mieux me comprendre
Parce que Borée
Parce que Jaddo
Parce que Gélule
Parce que Dr Foulard, DocAste...
Parce que tous les Twittos et ce que nos échanges représentent
Parce que Elle, Lui, Eux
Parce que si j'attends d'avoir fini d'écrire ce roman commencé il y a quelques années, ça risque d'être trop long
Parce que la vie est incontrôlable, toujours trop courte
Parce que j'ai peur du mot fin
Parce que "vouloir toujours cacher aux autres ses failles", ça me parle, peut être parce qu'il a les mêmes racines insulaires
Parce que...
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