vendredi 6 novembre 2015

Les écrits restent

"Je ne sais plus comment te dire, je ne trouve plus les mots. Ces mots qui te faisaient rire, et ceux que tu trouvais beau" (Parle-moi, Isabelle Boulay)

En ce moment, il y a un challenge sur Twitter. Le 30-day book challenge. Le principe ? Chaque jour un thème et une réponse par un bouquin. "Celui qui vous a fait le plus pleurer" ou "Celui que vous avez le plus aimé".

Je n'aime pas les écrits.
C'est idiot, non ? De la part d'un mec qui tient un blog et se triture les méninges par écrit... Si si, c'est idiot.

En fait, je n'aime pas les écrits. Parce qu'il n'y a pas la voix de son rédacteur.
Comme sur Twitter, j'aime pouvoir mettre une voix sur les tweets que je lis. Quand je connais les auteurs dans la vraie vie, c'est plus facile.

Du coup, un écrit quand je connais l'auteur, c'est mieux ? Et bien... non...
Je suis du genre à lire, relire, re-relire. Tenter de trouver les mots entre les lignes. Les inventer parfois. Comprendre une phrase parce que j'ai envie de la comprendre comme cela.
Mais... comment savoir ce qu'il a vraiment voulu dire.
Il y a bien la solution de le demander de vive voix à l'auteur. Bon, il y en a un paquet qui sont morts depuis des siècles, ça va être difficile. Pour les autres, surtout quand ce sont des proches, il y a le risque de passer pour le dernier des imbéciles "Mais c'est pas DU TOUT ça que j'ai voulu dire" ou celui, peut-être pire, de s'entendre dire ce qu'on ne voulait pas du tout admettre "En fait, j'osais pas te le dire, mais oui, c'est bien ça".

"Ne plus rien sentir. Inconscient minéral. Plus le moindre désir. Plus de peur, ni de mal" (J'en rêve encore, Gérald De Palmas)

Je m'imagine beaucoup de choses. L'un de mes romans préférés dont j'ai déjà parlé dans un vieux billet, Le Voyageur Imprudent, me met le cerveau en compote. Il me fait réfléchir, m'imaginer ce qui est passé par la tête de Barjavel quand il l'a écrit, ce qu'il a vraiment voulu dire. Comment le contexte de sa vie courante a pu influencer ses écrits : une histoire familiale, une histoire de cœur, un fait divers... y a-t-il quelque chose qui l'ait influencé ?
Quand je lis une phrase, qu'est-ce que je lis vraiment ? Ce que l'auteur a voulu écrire ? Ce que j'en déduis ? Ce que j'ai envie de lire, même si c'est l'inverse de qu'il voulait écrire ?

Voltaire disait : "Les livres les plus utiles sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes la moitié ; ils étendent les pensées dont on leur présente le germe ; ils corrigent ce qui leur semble défectueux, et fortifient par leurs réflexions ce qui leur paraît faible"
Non, mais là c'est juste impossible. Je ne vais pas écrire 5 tomes sur les réflexions que je me fais pour un tweet de 140 mots, ou un échange de deux phrases !

Je n'aime pas les écrits.
Mais je garde tous mes historiques de conversation. Partout. SMS, messages privés, discussions Messenger, Skype...
Je les relis très souvent.
Je ris, je souris, je m'interroge, je m'inquiète, j'imagine, j'extrapole...

Quand j'en avais parlé de vive voix, un ami m'avait proposé une solution "Arrête de relire les vieilles conversations".
Il a raison. C'est une solution pragmatique.
Mais je n'y arrive pas.
C'est comme relire un roman en connaissant déjà la fin. Vous savez les romans "dont vous êtes le héros". A ce moment de l'histoire, vous pouvez choisir entre la page 35 et 48. Et c'est la 35 qui a été choisie lors de la lecture.
Rétrospectivement, on se dit "mouais... peut être que la 48 aurait été mieux" ou  "Ah mais non, mais c'était évident qu'il fallait choisir la 48".

Sauf que dans la vraie vie, ce serait plutôt "Mais pourquoi j'ai répondu ça ??" surtout qu'en général, j'ai tendance à beaucoup trop écrire. Je m'imagine la personne recevant les messages en se disant "il est lourd... bon, je vais être gentil(le) je vais lui répondre quand même" (imagination parrainée par le club des gars qui ont une énorme confiance en eux).

Il y a aussi "Mais qu'est-ce qu'il/elle a voulu dire réellement par cette phrase ?".
Et de constater que la suite de la vie a découlé, comme le fait le roman, de ce choix précis. Encore un effet papillon.

Comme quand on reçoit un patient et qu'on se dit "et si je lui avais plutôt parlé de sa maladie comme ça, il/elle l'aurait mieux acceptée ? La communication aurait été meilleure entre nous ?"

"C'est un monde parfait, le vent souffle, on ne bouge pas. C'est un monde parfait, on s'en ira, le vent restera. Un monde parfait" (Un monde parfait, les Innocents)

C'est l'automne. La luminosité baisse, le temps devient gris, je rentre quand il fait noir. Je fatigue.
(Quand j'écris ces mots, mon moral est bas, ou c'est juste une constatation dépourvue de sentiment "négatif" ?)

J'aurais dû dire autre chose dans cette conversation hier/la semaine dernière/le mois dernier ? Je me suis emporté/emballé/laissé dépasser quand je discutais avec lui/elle ?
(Quand j'écris ces mots, je fais juste une sorte de bilan dans le but d'améliorer ma façon d'être lors de prochaines conversations ou je me prends en pleine figure mon angoisse de performance et de perfection insatisfaits en constatant que j'aurais pu être meilleur et que les éventuelles conséquences ne sont dues qu'à mon comportement ou mes mots ? Mea culpa, mea maxima culpa ?)

Je n'aime pas les écrits.
Parce qu'ils me filent une boule au ventre et un nœud à la gorge.
Je n'aime pas les écrits, parce que quand je vois tous ceux qui parlent de tant et tant de livres, je ne peux m'empêcher d'être jaloux de leur savoir que je n'ai pas, de leur culture que je ne partage pas.
Je n'aime pas les écrits parce que quand je relis les miens, je trouve toujours des fautes impardonnables que je dois corriger, et j'ai l'impression de me mettre à nu.
Je n'aime pas les écrits parce qu'ils me rappellent des souvenirs. Les bons comme les mauvais. Les bons que j'ai vécus et que je ne suis pas sûr de revivre. Les mauvais que j'aurais peut-être pu éviter si j'avais juste ouvert un peu plus les yeux.

Pourtant, dans toute histoire, il n'y a guère que les écrits qu'on peut conserver.
Alors je vais relire des mots d'anniversaire griffonnés sur une carte postale par ma grand-mère qui me manque. Je vais quand même relire des historiques de conversation, parce que j'ai l'impression de revivre le moment, de ressentir les émotions de ce moment là.
Un peu comme des rediffusions.

Je n'aime pas les écrits. L'automne et la fatigue non plus d'ailleurs. Faudrait que je lise plus souvent une phrase que je n'ai pas encore écrite "Va te coucher tôt".
Il est une heure du matin. Et je n'ai rien lu.