dimanche 14 septembre 2014

Juste après

"Elle a éteint la lumière, et puis qu'est-ce qu'elle a bien pu faire, juste après ? Se balader, prendre l'air, oublier le sang, l'éther, c'était la nuit ou le jour ? Juste après ?" (Juste après, Jean-Jacques Goldman)

Une annonce de diagnostic (sans vouloir relancer la discussion du billet précédent), une annonce de mauvaise nouvelle...
Finalement cela revient au même coup de semonce pour le patient : "Je vous annonce que votre état de santé actuel va changer entièrement votre avenir".

On discute un peu encore, on répond à toutes les questions qui peuvent venir à l'esprit du patient, on "laisse la porte ouverte" c'est-à-dire qu'on peut fixer un autre rendez-vous pour celles qui viendront forcément ensuite, une fois la nouvelle digérée.

Et le patient s'en va.

Mais après, il se passe quoi ? Il se passe quoi et avec qui ? Le patient est seul ? Il s'entoure de sa famille, de ses amis, de ses proches pour digérer un peu mieux la mauvaise nouvelle ?


"This used to be my playground, this used to be my childhood dream. This used to be the place I rant to whenever I was in need of a friend. Why did it have to end" (This used to be my playground, Madonna)
(C'était mon aire de jeux, c'était mon rêve d'enfance. C'était l'endroit où je courais quand j'avais besoin d'un ami. Pourquoi cela a-t-il dû s'arrêter ?)

Il se raccroche à quoi le patient quand on lui annonce une pathologie chronique, ou pire encore ?
Je veux dire, cet évènement, ces paroles que l'on prononce un jour, en consultation, alors qu'il vient nous voir, nous, représentant de la science, garant du "savoir" ? 
On apprend des mots, des façons de dire ces choses là pendant nos études. Quand on a un peu de chance et qu'on nous dispense ce cours là.
Et sinon ? On leur balance l'info et notre boulot s'arrête là, peu importe la suite ?

Mais, du coup, quand il s'agit de pathologies moins graves, anodines, banales... mais que les mots que nous employons sonnent "médicament" "soins" ... là où seul le temps est nécessaire : comment faire pour ne pas céder à la facilité de dire "prenez tant de gélule X et tant de Y, puis faites 3 prises de sang" parce que ça nous donne l'impression d'être scientifique, là où le scientifique justement devrait dire "Vous pouvez être rassuré, rien qui ne nécessite que vous vous inquiétiez, laissez faire le temps, vous verrez ça passera" ?
Quand on fait basculer le patient dans la surmédicalisation, volontairement ou non, par habitude ou non remise en question, que fait-il après ?
S'imagine-t-il atteint d'une pathologie si grave qu'il a dû prendre tous ces médicaments prescrits ?
Pense-t-il que désormais, tous ses maux devront se guérir à coups d'ordonnances sans fin ?

Quand les mots sortent de notre bouche de soignant, il se passe quoi, juste après ?

"Les frissons où l'amour et l'automne s'emmêlent, le noir où s'engloutissent notre foi, nos lois. Cette inquiétude sourde qui coule dans nos veines, qui nous saisit même après les plus grandes joies." (Veiller tard, Jean-Jacques Goldman)

Puis, le soir, quand nous quittons notre cabinet, il se passe quoi ? Il se passe quoi et avec qui ? Nous emportons un peu de la souffrance de l'autre, sans la vivre réellement. Sans la vivre physiquement.
Sans la vivre, vraiment ?



samedi 13 septembre 2014

Dans le sens du vent

"Dès que le vent soufflera je repartira. Dès que les vents tourneront nous nous en allerons" (Dès que le vent soufflera, Renaud)

Se faire porter par le courant, au propre comme au figuré, c'est très agréable.
Au propre, c'est comme flâner sur un matelas gonflable au fil de l'eau, sous un ciel d'été, par une chaleur idéale.
Au figuré, c'est, à mon sens, être un courant d'idées partagé par tous.
On se sent moins seul, on pense comme beaucoup d'autres.

Alors, ce billet va donner un peu l'impression de cracher dans la soupe.
Je vais aller un peu à contre courant, sans doute.

"Et tant pis la foule gronde, si je tourne pas dans la ronde. Papa quand je s'rai grand, je sais c'que je veux faire : je veux être minoritaire. 
J'ai pas peur, j'ai pas peur, j'ai mon temps, mes heures, un cerveau, un ventre et un coeur. Et le droit à l'erreur" (Minoritaire, Jean-Jacques Goldman)

Bon, la foule, on n'ira quand même pas jusque là.
Mais quand même...
En ce moment, c'est la mode du "Président bashing". Qu'on soit d'accord ou pas avec sa politique, peu importe, la mode c'est de trouver tout ce qui est possible de trouver pour dénigrer.
Pas sûr qu'aux Etats-Unis, les opposants à Obama l'attaquent sur son physique, ses comportements... mais soit, c'est peut être là encore une exception culturelle française. Après tout, nos présidents ont tous été affublés de surnoms plus ou moins flatteurs, ça doit être habituel, mais j'ai du mal à participer à cela.
Juste par respect pour la fonction, et parce qu'à mon avis le débat doit se faire sur les idées et pas sur le physique ou la vie privée.
Pourtant, je me suis surpris à participer aussi à une part de lynchage du phobique administratif du moment (faut avouer que c'était tellement énorme cette histoire que ça s'y prêtait plutôt bien).

Et quel plaisir quand on voit que notre trait d'humour est diffusé et repris par d'autres. Ou retweeté pour ceux qui, comme moi, sont présents sur les réseaux sociaux.
Du coup, c'est bien, quand on sent le vent souffler, de trouver l'angle pour se mettre pile dans le sens du vent et se faire porter par le souffle collectif.
C'est grisant même.
C'est sans doute cela être populaire (peu importe l'échelle : populaire dans le quartier, dans la ville... ou plus loin encore).
Ca flatte beaucoup l'égo, et concrètement ça fait du bien.

Mais chez nous, on se flatte un peu trop l'égo en critiquant à tort et à travers. Nous sommes connus à travers le monde pour notre côté râleur. C'est dommage.
Il y avait eu une publicité que j'avais trouvée géniale à l'époque. Même si je n'écoute pas cette radio, je trouve qu'ils avaient visé très juste.

On veut que ça change, il faut que ça change ! Vite, y'en a marre. Mais par contre, faut pas changer ça, puis ça non plus on y tient, et puis ça, non c'est pas possible ou c'est la mort de notre métier...
Bref, faut qu'ça change... sans rien changer.
Quand on tient ce discours là, on est dans le sens du vent.

"Fais comme si j'avais pris la mer, j'ai sorti la grand voile et j'ai glissé sous le vent" (Sous le vent, Garou et Céline Dion)

Dans l'enseignement de la médecine générale aussi, on retrouve à peu de choses près les mêmes courants.
Il y a quelques jours, nous discutions dans un chat sur l'enseignement dans les études médicales (#MedEdFr). Est venue la question des "fameux" RSCA, ou Récits de Situation Complexes et Authentiques.
Ce sont des textes que les internes en médecine générale doivent écrire au cours de leur cursus, pour tenter de prendre du recul sur leur façon de soigner et se remettre en question.
A bien y regarder, certains billets de blog de mes collègues et amis sur la toile sont des RSCA grandeur nature !
L'effet de mode, c'est de dire que c'est nul un RSCA. Ouais quoi, c'est scolaire, on force les internes à les écrire. Ils ne sont plus en primaire et ils doivent faire des rédactions. C'est pas comme ça qu'on leur apprendra à soigner dans la vraie vie.
A condition d'être bien réalisé et bien accompagné par des enseignants de médecine générale (et ces conditions ne sont malheureusement pas toujours remplies), se remettre en question en se demandant si on a bien fait de soigner le patient comme ça, ou si notre façon de lui parler était la meilleure, et sur la foi de quels arguments scientifiques on dit ça, ce n'est pas apprendre à mieux soigner ?
Donc, oui, je trouve que les RSCA c'est pas si mal.
Mais c'est pas dans le sens du vent.

Autre discussion récente sur le fait que la médecine générale est une spécialité qui pose des diagnostics. Discussion sur Twitter avec des collègues et amis généralistes.
Etre dans le sens du vent, c'est dire que notre spécialité... euh... c'est déjà pas vraiment être dans le sens du vent que de dire que la médecine générale est une spécialité...
Bref, être dans le sens du vent, c'est dire que notre spécialité est vouée à disparaître, que les pouvoirs publics de tous bords veulent notre mort à tous, nous généralistes. Il faut que les choses changent, et vite, il faut réformer, changer le système.
Mais il ne faut pas changer notre façon d'exercer la médecine générale. Il faut que l'on puisse continuer à faire ce que nous faisons ou pensons faire (ça ne vous rappelle pas quelque chose ?).

Je suis parti du principe que nous diagnostiquons peu. En effet, nous nous basons sur beaucoup d'arguments quand un patient vient nous voir : des symptômes, la durée de ceux-ci, leur retentissement dans la vie de tous les jours, l'influence de certains traitements...
Tout cela nous amène à poser une hypothèse diagnostique, la plus probable compte tenus de tous les éléments à notre disposition.
Et plus de 8 fois sur 10, nous avons raison du premier coup. 80% d'hypothèses confirmées, c'est pas mal, non ?
Et bien, cette prise de position de ma part a été vécue comme une atteinte à la fonction de médecin généraliste.
J'ai visiblement blessé et attaqué mes amis et collègues dans leur représentation de notre beau métier, et l'ai condamné à disparaître puisque "nous ne diagnostiquons pas" et que de ce fait là, nous serons vite remplacés par d'autres métiers puisque nos compétences ne sont plus nécessaires. (Bisous en passant à @DrSelmer en espérant bientôt pouvoir discuter de cela autour d'une bonne bière belge).

Esprit de caste ou effet de mode, je me suis senti un peu seul dans cette discussion. C'est finalement pas très populaire d'avoir le vent de face. Puis ça chamboule un peu aussi. Ca déstabilise également.

"I'm your biggest fan, I'll follow you until you love me. Papa, paparazzi" (Paparazzi, Lady Gaga)

Mais du coup, ne faut-il intervenir que quand on est dans le sens du vent ? C'est donc un peu se renier, non ?
Faut-il être masochiste et prendre le vent de face, tout le temps ?
C'est un peu difficile de ne pas chercher à être populaire et dans le sens du vent sur les réseaux sociaux. Ou alors, il faut le faire juste avant "L'amour est dans le pré", pour que le vent vienne d'ailleurs rapidement, et qu'on oublie même que notre voilier était là... C'est ce qui m'a vraiment marqué après les dernières élections. Tout le monde était révolté le dimanche soir, le lundi matin... mais le lundi soir, le sujet le plus discuté concernait cette émission de la 6ème chaine...

"Non jamais je ne conteste, ni revendique ni ne proteste. Je ne sais faire qu'un seul geste, celui de retourner ma veste, de retourner ma veste, toujours du bon côté" (L'opportuniste, Jacques Dutronc)

Et vous ? Vous en pensez quoi ? Il va dans quel sens le vent ?