"Et ces batailles dont on se fout, c'est comme une fatigue, un dégoût. À quoi ça sert de courir partout ? On garde cette blessure en nous, comme une éclaboussure de boue qui n'change rien, qui change tout. Évidemment, évidemment, on danse encore sur les accords qu'on aimait tant. Évidemment, évidemment, on rit encore pour des bêtises comme des enfants, mais pas comme avant" (Evidemment, France Gall)
Pas comme avant.
Le monde d'après... D'après l'épidémie, d'après le confinement.
Dans la tête de beaucoup, j'ai l'impression que le confinement a fait gagner une espèce de totem d'immunité digne de Koh Lanta.
Personne n'a rien gagné dans l'histoire.
Et le confinement n'a pas vraiment été une mesure populationnelle (pour protéger la population) mais plutôt institutionnelle (pour protéger notre système de santé de la surchauffe afin d'éviter d'avoir à choisir quel patient serait admis en réa et quel patient ne le serait pas, faute de place suffisante).
Tout le monde en a marre, et les soignants les premiers. Beaucoup sont en burn out, soignants ou non d'ailleurs, parce que les nerfs ont été mis à rude épreuve. Et la deuxième vague est surtout une vague psychologique pour le moment.
Donc, tout le monde a envie de penser à autre chose. De vivre d'autres choses. De "re"vivre. Comme avant. Oublier le virus. Retrouver de l'insouciance.
"Dépassé, le chacun pour soi, quand je pense à toi, je pense à moi" (Les restos du coeur, Les Enfoirés)
Les masques sont devenus obligatoires depuis une semaine dans tous les lieux publics clos.
Et fleurissent sur tous les réseaux les thèses les plus conspirationnistes et farfelues possibles.
Le refus du port du masque devient même par endroits un symbole de rébellion anti-système...
Et j'enrage. J'avoue.
Ma sérologie COVID-19 est positive.
J'ai donc attrapé le coronavirus au printemps. Quand ? Je ne sais pas. Je dirais au courant du mois de mars.
J'ai pourtant pris toutes les précautions possibles et imaginables sur mon lieu de travail. Mais il y a la vie en dehors qui a pu m'exposer aussi. Les transports en commun à Paris par exemple, et le RER où la distanciation physique est juste une vaste blague.
Ou tout simplement, vu le peu de protection qui a été mise à notre disposition, nous soignants, par les pouvoirs publics, j'ai pris un risque en faisant mon métier, et j'ai contracté le virus. A l'image de ce collègue de la ville voisine qui, lui, y a laissé la vie.
"Prends garde à toi si tu t'aimes. Prends garde à moi si je m'aime. Garde à nous, garde à eux, garde à vous et puis chacun pour soi. Et c'est comme ça qu'on s'aime s'aime s'aime s'aime [...] Un jour tu verras, on s'aimera, mais avant on crèvera tous, comme des rats" (Carmen, Stromae)
Admettons que les anticorps soient protecteurs, c'est à dire que je sois immunisé et protégé contre le SARS-Cov2 (mais c'est une hypothèse car on n'en sait pas grand chose pour le moment)... Admettons...
Je n'aurais donc aucun risque d'attraper ce virus et d'en développer des symptômes graves, puisque je suis protégé.
Donc fuck les masques, rien à battre, j'ai déjà été malade, je peux vivre en mode YOLO.
Et pourtant, quelle mouche me pique en mettant des masques à chaque fois que je sors, bien avant l'obligation; Pourquoi je m'entête à ne pas faire la bise à ma famille et mes amis, ou à ne pas les serrer fort dans mes bras même si j'en ai envie ?
Après tout, MOI, je ne risque rien (si l'hypothèse des anticorps protecteurs était valide).
Et bien...
Imaginons que cette hypothèse ne soit pas valable. Ou juste un peu valable : je ne développerais pas la COVID-19 mais pourrais être source de contamination ?
Est-ce que je serais prêt, moi, à me dire que j'aurai peut-être causé la mort d'une personne de mon entourage ?
Bien entendu, il ne faut pas céder à la psychose, le taux de mortalité est faible, et heureusement. Mais imaginez le poids de la culpabilité à porter dans ce cas ?
Parce que, même en prenant les précautions maximales, en respectant les gestes barrière, le risque zéro n'existe pas.
Que ferez-vous, VOUS, si par votre envie de ne pas être un soi-disant mouton, vous contaminez un proche et qu'il y laisse la vie ?
Quand allons-nous penser aux autres autant qu'on pense à soi ?
Quand allons-nous arrêter de nous regarder le nombril en nous extasiant, tout en critiquant tous les autres autour ?
Y a-t-il un moment où nous allons prendre conscience que l'existence de l'autre compte autant que la nôtre et que c'est ensemble que nous serons plus forts plutôt que par la somme de nos individualités ?
"J'accuse les hommes. Je veux qu'on les condamne au maximum, qu'on arrache leur âme et qu'on la jette aux rats et aux cochons pour voir comment eux ils s'en serviront. J'accuse les hommes, en un mot comme en cent, j'accuse les hommes d'être bêtes et méchants, bêtes à marcher au pas des régiments, de n'être pas des hommes tout simplement." (J'accuse, Michel Sardou)
J'ai beau chercher à comprendre, je n'y arrive pas. J'aime bien décortiquer et comprendre les rouages de chacun, en tenant compte du vécu, des souffrances, de l'histoire en somme.
Et là... je n'arrive pas à comprendre comment, après ce premier semestre et ce que nous avons toutes et tous vécu, il a pu naître dans la tête de certains que protéger l'autre était un signe de soumission. Je ne comprends pas.
Et j'ai peur de ne jamais comprendre ou recevoir une explication logique voire cartésienne.
Alors, je vais me contenter de me dire, comme le font les enfants, qu'il y a des super héros au quotidien, altruistes et mus par le bien-être de la communauté comme du leur.
Et ces héros sortent masqués...