mardi 19 février 2013

AA-VM

 "J'veux pas d'visite. J'veux qu'on me traite de sauvage et que ça s'dise dans le voisinage. J'veux qu'on m'évite" (La visite, Lynda Lemay)

Bonjour, je m'appelle Matthieu.

C'est ma première réunion des médecins AA-VM : Médecins Ayant Accepté la Visite Médicale.

Oui, je suis installé depuis 7 ans maintenant.
Mon prédécesseur recevait la visite médicale. Je n'ai pas trouvé utile de changer les habitudes. Ne pas faire de vague. Faire une transition en douceur.
Deux rendez-vous le lundi, deux le mardi, deux le mercredi, deux le jeudi, deux le vendredi. Dix par semaine...

Et je n'ai quasiment rencontré que des gens charmants, sympathiques.
Une forme de coupure dans le planning habituel des journées bien remplies.
Un moment où je ne devais pas forcément réfléchir.

Les visiteurs médicaux flirtaient parfois un peu trop avec le cliché habituel : jupe courte, sourire et décolleté, et parfois tentaient un peu trop à mon goût une incursion "familière" qui faisaient en sorte de discuter au final un peu plus des vacances et des loisirs que de leur(s) produit(s) en tant que tel.

Il y avait aussi le visiteur médical qui parlait du même produit que son collègue vu moins d'une semaine auparavant, mais dans une indication différente. Comme si mon petit cerveau était à ce point cloisonné pour ne pas associer à un même nom de produit les différentes raisons de le prescrire.

J'ai accepté des invitations au restaurant le soir, formations thématisées avec des collègues des autres spécialités.
J'ai pu mettre des visages sur des noms avec lesquels j'avais déjà échangé des courriers de patients.
J'ai pu recroiser mon directeur de thèse, cardiologue, et extrêmement sympathique avec qui je garde d'excellentes relations. J'ai parfois accepté des formations uniquement parce qu'il était là et que cela me permettrait de le recroiser et discuter un peu.

J'ai continué à me documenter. J'ai continué à lire Prescrire. Ou plus exactement, j'ai continué à le recevoir, mais ne prenais plus le temps de le lire attentivement.
Après tout, les nouveautés dans le domaine du médicament, à coups de 10 rendez-vous par semaine, j'étais bien informé.

Certains visiteurs médicaux maniaient très bien la prétérition. "Je ne vous ferai pas l'affront de vous parler de ce médicament que vous connaissez bien, et prescrit dans les indications..." Je les trouvais sympa de m'épargner leur discours. A bien y réfléchir, ils maniaient vraiment bien la prétérition puisqu'ils m'en parlaient quand même un peu.

Je restais pour ma part droit dans mes bottes. Je ne me laissais pas influencer par les messages. Je gardais mon libre arbitre. Je prescrivais quand cela me semblait indiqué. Des anti-arthrosiques, des gliptines, en respectant l'AMM.

Et puis j'ai eu envie de me lancer dans la maîtrise de stage.
Aucun rapport me direz-vous.
Effectivement, il n'y en a pas.
Pas à première vue.

Je me suis formé à la pédagogie (parce que recevoir un étudiant, c'est bien, mais savoir comment être un bon pédagogue, c'est beaucoup mieux me semble-t-il).
Et les visiteurs médicaux, restant charmants (et je ne manie pas le cynisme dans cette phrase, ce sont réellement des personnes charmantes pour la plupart d'entre eux), étaient très contents d'avoir des jeunes médecins devant qui dérouler l'ensemble de leurs explications.

J'ai commencé à prendre du recul à ce moment précis. Je regardais d'un oeil extérieur la discussion et les questions que pouvaient poser mes étudiants.

L'un deux était, et est toujours, un étudiant brillant. J'ai eu la chance de l'avoir dans mon cabinet au cours de sa 5ème année, puis de le revoir avec plaisir comme interne de médecine générale "malgré" un classement exceptionnel au concours de fin de 6ème année (et oui, on peut être brillant et choisir la médecine générale). Il est devenu un ami en plus d'avoir été un de mes étudiants, et j'ai eu l'honneur d'être son directeur de thèse. (Je lui adresse des "bisous" en private joke par l'intermédiaire d'un membre de sa famille que je sais lectrice de ce blog).
Bref, je disais donc que Julien, puisqu'il s'appelle Julien, a posé un jour une question d'une pertinence inouïe.
Une visiteuse médicale présentait alors un anti-arthrosique dont j'ai depuis oublié le nom. Et dans la superbe étude présentée sous nos yeux, on pouvait y lire que sur les radiographies, l'interligne articulaire du genou était préservé grâce au traitement (comprenez : l'articulation du genou était maintenue en bon état d'après les radios).

"- Ok, l'interligne articulaire est préservé. Mais les patients, ils ont moins mal ?
- Euh, ça ce n'est pas un critère étudié, je ne peux pas vous dire"

Le choc. Pour moi.
Je m'étais donc fait anesthésier tranquillement, doucement, à coup de visites sympathiques, de prétéritions, au point de ne plus avoir le recul suffisant pour poser cette question simple, qui avait prononcée par Julien.
J'ai repris la lecture de Prescrire. Et d'Exercer aussi.
J'ai diminué la fréquence de la visite médicale. Cela me laissait un peu plus de créneaux libres pour mes patients. J'ai choisi ce métier pour eux, pas pour la visite médicale après tout.
Je me suis inscrit à mes frais à des congrès de médecine générale.

J'ai refusé de participer aux formations. Poliment d'abord. Prétextant ne pas être disponible aux dates proposées. Petit à petit, en m'investissant à la faculté et dans l'enseignement, j'avais un peu plus de réunions et n'étais de toute façon plus disponible "pour de vrai".

Et j'ai arrêté totalement de recevoir la visite médicale. Je suis le seul dans mon cabinet actuellement. Pour blaguer, mes associés me disent que je ne reçois plus depuis que je lis mes revues. Ils n'ont pas totalement tort.
Mais depuis ce moment, je me rends compte que moi qui me croyais droit dans mes bottes, moi qui gardais mon indépendance, j'étais complètement sous influence.
Je suis sincèrement désolé pour les hommes et les femmes dont c'est le métier et qui restent toujours sympathiques. Je sais que leur emploi est désormais précaire.

Mais, quand je lis l'excellent billet de Farfadoc ici ou de B. ici avec son triptyque sur la visite médicale et sa pétition, je sais que c'était le bon choix. Et ces deux Twittos, ainsi que beaucoup d'autres, je les admire. J'aurais aimé être "irréprochable" depuis mon installation ou même depuis mon internat comme ils le sont.

Je reste actuellement sous influence. J'en suis conscient.
Mais maintenant il s'agit de la leur. Et cette influence j'en suis pleinement conscient et fier.
Mon lien d'intérêt (parce qu'on ne peut parler de conflit) est d'être leurs amis. Et j'espère qu'ils vont encore beaucoup déteindre sur moi.
Parce que, grâce à eux, je pense, du moins j'espère, qu'au final, ce seront mes patients qui seront mieux soignés.

mardi 12 février 2013

Mon idéal

"Sur ta peau regarde les veines, ce tempo toute la semaine, je sais. Excité, surexcité, tout te stresse ou tout te blesse, je sais" (Respire, Julien Clerc)

Il a neigé il y a quelques jours.
C'est beau la nature quand elle est recouverte de son manteau blanc.
Et puis, il a beau faire gris dans le ciel, ce blanc renvoie un peu de lumière très appréciable.
J'aimerais m'installer sur un banc, et contempler la nature.
Dans mon monde idéal, j'aurais le temps de faire ça quand je veux, comme je veux.

Il faut que j'arrête.
Que j'arrête d'être un idéaliste.



 "Est-ce qu'on a vraiment tout fait quand on a fait de son mieux ? Qu'est-ce qu'il restera de tout ça, dans un siècle ou deux ?" (Je laisse, Michel Fugain)



Dans la prise en charge de mes patients, j'essaie de faire pour le mieux.
Mais je ne suis qu'un homme "normal" (terme à la mode ces temps-ci) avec des défauts. Je suis sujet à la fatigue, comme tout le monde.
J'essaie de faire preuve d'empathie avec mes patients. Je mets de côté mes problèmes, mon stress et ma fatigue, et suis 100% disponible.
Enfin, ça c'est dans ma conception idéale de ce que je suis et du médecin que j'espère être.
Parce que parfois, je suis fatigué. Parfois, je suis assailli de demandes diverses et variées qui n'ont pas lieu d'être et que se battre pour les refuser est épuisant, alors que tout accepter est renoncer à ses propres valeurs.

Parfois, j'ai envie de tout envoyer promener. Après tout, je suis encore à même de décider ce que je suis en mesure d'accepter ou non.
Parfois, j'essaye de comprendre pourquoi les patients sont aussi insistants (voire parfois vraiment désagréables). Comprendre leurs représentations, leurs motivations.
Ne pas me braquer, même quand ils manquent de courtoisie. Heureusement pour moi, ce n'est pas fréquent.
Mais épuisant.
Alors je fais de mon mieux.Est-ce que seulement j'y arrive ?

Il faut que j'arrête.
Que j'arrête d'être un idéaliste.


"Respectueux et reconnaissant envers mes Maîtres, je rendrai à leurs enfants l'instruction que j'ai reçue de leurs pères" (Serment d'Hippocrate)


Dans mon monde idéal, je serais enseignant de médecine générale.
Les patients comprendraient tous que je suis parfois absent pour enseigner et former les médecins qui les soigneront, eux, demain.
Dans mon monde idéal, on arrêterait de considérer la médecine générale comme une sous-spécialité, ou une spécialité de seconde zone. On arrêterait d'ailleurs de parler de généralistes d'un côté et de spécialistes de l'autre puisque tous les médecins seraient spécialistes et chacun dans un domaine différent.
Dans mon monde idéal, il n'y aurait pas de frein à la construction d'une vraie filière universitaire de médecine générale (ou FUMG). Chacun des acteurs de l'université comprenant l'intérêt que nous avons tous à promouvoir une médecine de soins primaires non pas en opposition aux autres, mais bel et bien en collaboration avec tous, au bénéfice unique du patient.
Dans mon monde idéal, il y aurait encore moins de freins à Lille qu'ailleurs.

Il faut que j'arrête.
Que j'arrête d'être un idéaliste.


"Rendez-vous dans un autre monde ou dans une autre vie, quand les nuits seront plus longues plus longues que mes nuits. Et mourir, oh mourir, mais de vivre et d'envie. Rendez-vous quand j'aurai dévoré mes appétits" (Dans un autre monde, Céline Dion)

Oui, l'herbe est plus verte ailleurs.
C'est sûr.
Ce serait idéal.
J'y ai déjà pensé : aller exercer au Québec. Idéalement ce serait même aux Etats-Unis. J'en ai parlé un peu ici
Mais je sais bien que ce serait remplacer certains problèmes par d'autres. Mais vu d'ici, j'ai l'impression que le médecin de médecine familiale (comprenez "médecin généraliste") est plus considéré qu'ici.

Il faut que j'arrête.
Que j'arrête d'être un idéaliste.


"Only human, made of flesh, made of sand, made of human" (Only human, Jason Mraz)

Dans mon monde idéal, je ne serais jamais malade, jamais fatigué, jamais de mauvaise humeur, je n'aurais jamais faim ni soif.
Du coup, je n'aurais jamais besoin de me vider la vessie.
Et pas besoin de la remplir non plus pour éviter les calculs rénaux.
Je serais même Superman, mon idole quand j'étais môme.

Il faut que j'arrête.
Que j'arrête d'être un idéaliste.


"On dirait le sud, le temps dure longtemps. Et la vie sûrement, plus d'un million d'années. Et toujours en été" (Le sud, Nino Ferrer)

Dans mon monde idéal, il ferait toujours beau pendant mes vacances.
Dans mon monde idéal, il n'y aurait pas de tempête prénommée Sandy pour perturber mon séjour à New-York.
Dans mon monde idéal, les patients n'essaieraient pas de me faire culpabiliser d'être "encore" en vacances.
Dans mon monde idéal, le temps passerait lentement pendant les vacances, pour que je puisse prendre le temps de voir grandir et s'épanouir mes enfants en échangeant un regard complice avec ma femme.

Il faut que j'arrête.
Que j'arrête d'être un idéaliste.


"Je m'en irai dormir dans le paradis blanc, où les nuits sont si longues qu'on en oublie le temps tout seul avec le vent. Comme dans mes rêves d'enfant" (Paradis blanc, Michel Berger)

Il faut que j'arrête.
Que j'arrête d'être un idéaliste.