samedi 22 août 2015

Venez comme vous êtes

'Mens Moi. Raconte moi n'importe quoi, ce qui est vrai, ce qui ne l'est pas" (Mens-moi, Axel Bauer)

"Tout le monde ment, je devrais le savoir pourtant, j'ai vu toutes les saisons de Dr House" me disait il y a peu un patient. Il a raison.

Comme cette patiente qui est un jour venue me voir parce qu'elle était enceinte et ne savait si elle souhaitait poursuivre sa grossesse. 
"- Mon conjoint m'a dit qu'il me soutiendrait, peu importe mon choix
- Et quel est votre choix ?
- Je ne sais pas. Au fond de moi, je sais qu'il dit cela parce qu'il m'aime, mais je crois qu'il ne me dit pas ce qu'il pense vraiment"

Comme cet autre patient, que je connaissais bien, qui m'a dit un jour en venant en consultation avec son épouse :
"- Docteur, vous pourrez me represcrire les comprimés pour mes hémorroïdes ?"
Devant mon air étonné (pour les non médecins, ce genre de médicament n'existe pas... enfin il y a bien les veinotoniques, mais de toutes façons, comme ils ne marchent pas, autant dire qu'il n'y a pas de médicaments pour cela), il ajoute "Mais si docteur, vous savez, ceux que vous m'avez prescrit la dernière fois, quand j'étais venu en consultation seul"
Il me parlait donc du sildénafil... que les non médecins connaîtront sous le nom de VIAGRA...
J'ai donc compris qu'il ne voulait pas que sa femme soit au courant. J'ai donc moi-même menti en faisant mine de me souvenir du médicament en question et en le lui prescrivant.

Comme cette patiente qui un jour m'a dit :
"-Docteur, je ne vais pas bien. Je le sais. Je sens que mon cancer progresse vite. Mais s'il vous plaît, ne le dites pas à mon mari. J'arrive encore à le lui cacher. Mais vous le connaissez, il s'inquiète vite"

Comme ce jeune patient qui m'a dit un jour :
"-Docteur, j'ai eu une soirée arrosée... j'ai un peu perdu les pédales et j'ai couché avec une fille qui n'est pas ma femme. Je ne la connais pas. Je n'ai pas mis de préservatif. Comment puis-je faire pour protéger ma femme en mettant des préservatifs le temps que je sois sûr de n'avoir attrapé aucune maladie ?"

"Soigner les détails, gagner des batailles... J'peux garder mes secrets pour moi et sourire à la caméra" (Sur le fil, Jenifer)

Il y a énormément de choses qui se passent dans un cabinet médical.
Des joies, des rires, des pleurs, souvent, des inquiétudes, des soulagements, des deuils...
J'avais déjà parlé ici de cette compétence d'éponge du médecin généraliste (une compétence qui manque dans la fameuse Marguerite des compétences utilisée pour enseigner la MG... vous en dites quoi les MG ? On la rajoute ?).

Il y a aussi beaucoup de choses qui nous bousculent.
Comme ce patient qui est venu me demander si je le trouvais plus détendu que lors de la dernière consultation. Quand je lui ai répondu que oui, il m'a expliqué qu'il avait maintenant une maîtresse, que sa femme était au courant parce que c'était même elle qui le lui avait conseillé.

Aux antipodes de l'éducation judéo-chrétienne du bien et du mal, de la monogamie... Et pourtant, à bien y réfléchir, je ne l'ai jamais vu aussi détendu, aussi serein... même sa tension artérielle était bonne alors que c'est d'habitude une catastrophe.

Comme aussi cette autre patiente, qui après avoir attendu désespérément une grossesse, se retrouve enceinte à plus de 45 ans, et envisage une interruption de grossesse, parce que son monde, celui auquel elle s'était résignée risquerait de s'effondrer et que cette seule idée est plus traumatisante que tout le reste.

Comme ce patient qui m'avoue son homosexualité, qu'elle a été à l'origine de conflits familiaux, qu'il a été mis à la porte de chez lui. Il m'en parle en baissant les yeux, en ajoutant qu'il comprendrait que je ne puisse plus être son médecin puisqu'il vient me voir depuis des années et qu'il ne m'en avait jamais parlé auparavant.

"C'est pas marqué dans les livres, que le plus important à vivre, c'est de vivre au jour le jour" (Lucie, Pascal Obispo)

S'il y a un endroit où vous pouvez être vous, s'il y a un endroit où vous devez être vous, ce devrait être chez votre médecin.
Il peut vous comprendre, il veut vous connaître pour pouvoir vous apporter les soins les plus appropriés à votre cas.
Si vous avez l'impression qu'il ne vous comprend pas, envisagez de changer de médecin.
Mais n'ayez pas peur de lui dire la vérité : si vous êtes seul avec lui dans son cabinet, il est tenu au secret médical et n'aura pas le droit de révéler votre état de santé ou les choses que vous lui auriez confiées en consultation. Même à votre mère, votre père, votre mari, votre femme, vos enfants ou qui que ce soit d'autre, sauf si c'est vous qui le lui demandez.

Soyez vous-mêmes. Que vous soyez grands, petits, gros, maigres, gentils, méchants, hétérosexuels, homosexuels, bisexuels, couche tard, lève tôt, patient, irascible, noir, blanc, jaune, beau, moche... venez tels que vous êtes.
C'est le meilleur moyen d'être le mieux soigné.

Si vous avez l'impression d'être jugé(e) par votre médecin, n'hésitez pas à le lui dire. Il peut vous conseiller si vous le souhaitez, mais il se doit de rester neutre.

Et quand vous verrez votre médecin, dites-vous qu'il n'est qu'un humain comme les autres après tout. Tout ce que vous vivez, toutes vos craintes, il risque de les vivre un jour ou l'autre. Et j'espère qu'il aura, de son côté aussi, la possibilité de venir comme il est chez un de ses confrères, le jour où il en aura besoin.

6 commentaires:

  1. Comment te dire ?

    Il en est des médecins comme des non médecins : il y a des khons, des racistes, des homophobes, des sexistes, des paternalistes, des maltraitants etc.
    Être médecin ne "protège" pas de tout cela, c'est la raison pour laquelle généraliser comme tu le fais me parait ne pas être le reflet de la réalité.

    Néanmoins, tu as raison de décrire ainsi le "médecin idéal" . Mais existe-t-il vraiment ? Certain s'en rapproche, c'est indéniable, mais la majorité ? Je n'en suis pas si sur .

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    1. Il y a de tout en effet, comme dans le reste de la population.
      Tous les MG ne sont pas forcément conformes à cet idéal, mais j'ose espérer que la majorité s'en approche

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  2. Merci pour ce très beau billet (un peu idéaliste) mais qui donne un sens à notre métier et nous éloigner de la médecine industrielle : nul doute que tel médecin intolérant sur les réseaux sociaux (suivez mon regard) peut être très ouvert lors d'un entretein singulier avec n'importe quel patient et que tel autre, parangon de la bien pensance tolérante, puisse se comporter différemment en face d'un pateint qui n'a pas l'heur de lui plaire (suivez encore mon regard). Ce billet doit surtout donner espoir aux patients qui savent qu'ils peuvent compter sur "leur" médecin traitant ou sur un médecin occasionnel pour dire ce qu'ils ne disent à personne.
    Mais n'oublions pas aussi que cette parole libre peut être une cause de détresse pour un médecin non préparé qui aurait oublié que le freudisme est une méthode thérapeutique sans doute très criticable mais que les découvertes de Freud sur l'inconscient sont aussi indépassables que l'arithmétique basique : attention au couple maudit transfert/contre-transfert. Cela peut faire mal.
    Merci donc.

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  3. A chaud, là....En revanche si le patient exprime l'envie de prendre d'essayer un traitement non conventionnel (homéo, ostéo,..), l'ouverture d'esprit sera t'elle encore là?

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    1. Il vous dira ce qu'il en pense, ce que la science en pense, mais vous êtes libres de faire ce que vous voulez.
      Par contre, il ne faudra pas le forcer à prescrire de l'homéopathie par exemple

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