mercredi 17 avril 2013

En scène, Docteur

"J'ai deux égo, "Je" et "Moi". Quel duel, quel duo ! Un drôle de jeu en eux et moi, trente deux jours par mois" (Je et moi, Michel Fugain)

Un peu difficile de se dire que l'on peut être soi sans toujours être soi.
Rassurez-vous, pas de pathologie psychiatrique en vue... juste se dire que l'on est toujours tiraillé entre le médecin que l'on aimerait être, celui que l'on est, et la personne civile derrière le tout.

"Attention mesdames et messieurs, dans un instant, ça va commencer ! Installez-vous dans votre fauteuil bien gentiment" (Attention mesdames et messieurs, Michel Fugain)

Il est presque 9h du matin. J'arrive au cabinet médical. Monsieur a déposé ses enfants à l'école et laissera bientôt place au docteur pour ses consultations.

"T'as pas changé ! Qu'est-ce que tu deviens ? Tu t'es marié, t'as trois gamins ? T'as réussi ? Tu fais médecin ?" (Place des grands hommes, Patrick Bruel)

Oui, c'est ça, je vais faire le médecin à partir de 9h. Dans le sens "jouer" le médecin.
Pour cela, il faut endosser ce qu'un maître de stage que j'ai eu en formation a appelé récemment "notre habit de lumière".

Après tout, il y a une part non négligeable de théâtralité dans notre métier.
J'avais beaucoup aimé un billet de @Jaddo qui se demandait ici quelle partie de nous rencontrait quelle partie du patient lors de la consultation.

Et si tout n'était qu'un jeu de dupes ?

Les patients ne nous disent pas toujours toute la vérité.
Par exemple, quand j'écoute certains patients suivis pour un diabète, ils seraient prêts à me certifier sur l'honneur qu'il ont un régime qui donnerait envie à toute tortue digne de ce nom ! Ils ne mangent que de la salade et des légumes et ne comprennent pas pourquoi leur prise de sang est si mauvaise...

Mais, dans mon cabinet, ils ne sont pas en garde à vue, et donc pas soumis à un "interrogatoire" même si c'est le mot consacré pour cette partie de la consultation. Je préfère parler d'entretien. Nous discutons. Le patient m'apporte des éléments.
Ces éléments ne sont pas toujours authentiques.
Ils ne mentent pas. Ils déforment la réalité pour coller un peu mieux sans doute à ce qu'ils pensent que j'aimerais entendre de leur part.
J'essaye d'en discuter pour tenter de parler le même langage et voir si certaines habitudes devenues si routinières ne peuvent pas être changées. Au moins un peu.
Mais lorsque je comprends que le patient ne souhaite pas en discuter plus longuement, il m'arrive aussi de fermer les yeux et ne pas insister.

Ces patients-là ont revêtu le costume du patient presque parfait.
A moi de revêtir le costume du médecin qu'ils attendent et recherchent. Celui du médecin qui saura les soigner selon leur souhait. Sans se laisser manipuler non plus.

Chaque consultation est différente parce que chaque patient est différent.
Le costume à enfiler est différent à chaque consultation.
Il faut réussir à l'enfiler rapidement entre chaque.
Tout comme un acteur change de costume en fonction des actes de sa pièce de théâtre, nous enfilons un nouveau costume virtuel entre chaque consultation. Un peu à la manière d'un vaudeville où un acteur jouerait plusieurs rôles et n'a que quelques secondes pour se changer.
Le patient, lui, vient chercher un ou plusieurs traits de caractères chez son médecin-acteur.
C'est, à mon avis, ce qui explique que les patients finissent globalement par ressembler à leur médecin sur certains points.
Et cela explique aussi pourquoi, parfois, la relation médecin-patient n'est pas optimale. Imaginez-vous prendre un billet pour aller voir un film d'aventure et tomber sur documentaire philosophico-politique... 

"You think you know me well. But you don't know me" (You don't know me, Ray Charles)

Nous pensons chacun connaître l'autre lors d'une consultation. Puis parfois, au hasard d'un échange, il nous arrive d'en apprendre un peu plus sur l'autre.
La Médecine Générale est vraiment la spécialité rêvée pour cela. Réussir, parfois au bout de plusieurs années, à comprendre les représentations des patients et pouvoir enfin réussir à répondre un peu mieux à leurs demandes car nous comprenons ce qu'elles sous-tendent en réalité.
Un travail de longue haleine.
Passionnant, mais qui prend du temps. Beaucoup de temps.
Et d'énergie.

"Evidemment. On danse encore sur les accords qu'on aimait tant. Evidemment. On rit encore pour des bêtises, comme des enfants. Mais pas comme avant" (Evidemment, France Gall)

Cet habit de lumière, j'aimerais qu'il soit une armure de lumière.
Pouvoir le retirer en fin de consultation-représentation, le mettre pendre dans une armoire et le récupérer lors de la prochaine représentation.
Laisser tout ce qu'il comporte avec lui sur le cintre.

Il y a quelques jours, un de mes patients est décédé d'un cancer pulmonaire. Moins d'un an entre le diagnostic et le décès.
Un patient sympathique, qui jusqu'à ma dernière visite chez lui, trouvait le moyen de faire des petits mots d'humour alors qu'il avait beaucoup de douleurs.
Il y a des choses qui passent à travers le costume et s'imprègnent dans la peau de façon quasi indélébile.  
Je mentirais si je disais que j'en pleure jour et nuit.
Je mentirais si je disais que je peux complètement comprendre et ressentir la peine de la famille. 
Mais je mentirais aussi si je disais que je ne ressens rien.
Et comme je suis heureux de pouvoir m'appuyer sur mon trépied pour ne pas chavirer.

"The show must go on. Inside my heart is breaking, my make-up may be flaking, but my smile still stays on" (The show must go on, Queen)

En scène. Le patient suivant attend.
 

4 commentaires:

  1. C'est drôle je ne me suis jamais sentie comme un acteur, parce que j'aurais uniquement tenu le rôle de la petite souris sous l'estrade.
    Par contre celui de confesseur, avec évidemment le patient qui me raconte ce qu'il veut, à la rigueur ce n'est pas mon problème.
    Mais chacun mène sa consultation selon sa personnalité

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  2. Depuis 7 ans, je suis fan de théâtre d'improvisation...beaucoup de similitudes: un acteur d'impro ne sait pas à l'avance quel rôle il va être amené à jouer, quel costume il va mentalement endosser, qui change à chaque thème; quelques "ficelles", tout de même, mais sinon, de l'art et de l'expérience; nous ne savons pas à l'avance, et improvisons à chaque patient, chaque consultation, du mieux possible; les connaissances théoriques, scientifiques, l'enseignement reçu est un squelette sur lequel vient se greffer l'expérience, et une part d'art à l'état pur.
    Mais l'acteur sort de scène indemne, et raccroche tout avec le costume...nous restons comme tatoués de nos vécus d'humains face à l'humain, à travers le costume, et ces tâches là sont indélébiles.

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  3. C'est compliqué parce que ressentir ça peut être douloureux et je voudrais réussir davantage à laisser ça enfermé dans ma sacoche, mais le jour où je ne ressentirai plus rien alors je m'ennuierai et je crois que je n'aimerai plus ce que je fais.

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  4. Tout à fait d'accord avec la théatralité de la consultation !
    En plus, nous sommes des acteurs très attentivement regardé. Nos gestes et nos mimiques en disent plus que nos échanges oraux, et les patients sont à l'affut de nos réactions et de nos haussements de sourcil

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