mardi 19 mars 2013

De la médecine générale à l'indifférence générale

"Entrez, entrez dans la danse, on va se régaler ! Entrez dans la danse, et buvez à notre santé!" (Le bal démasqué, Michel Fugain)

Votre santé. Notre santé. A tous.
J'entends dire à grands coups de déclarations diverses que le médecin généraliste est le pivot du système de santé ou je ne sais quel autre qualificatif faisant de notre métier la pierre angulaire du système de santé français.

Bon, ça va bien un peu là. J'ai passé l'âge de me faire brosser dans le sens du poil, et me dire que je suis merveilleux et formidable, qu'on me comprend... pour qu'une fois les mots prononcés rien ne change, ça devient lassant. Limite humiliant par certains aspects.

"Don't tell me you agree with me, when I saw you kicking dirt in my eye" (Black or white, Michaël Jackson)  (=Ne me dis pas que tu es d'accord avec moi, quand je te vois déblatérer dans mon dos)

J'ai lu le nouveau Président de l'Académie de Médecine et ses déclarations sur le fait que les généralistes n'auront qu'un avis consultatif, et surtout pas de Professeur de Médecine Générale, parce qu'ils ne représentent rien.
Moi, du coup, j'ai entendu "Vous êtes super importants, mais pour nous parler de votre profession, on va choisir qui vous représentera parce que bon, faut pas pousser, on veut pas de poil à gratter. Et puis on vous donnera la parole. On n'a pas dit qu'on vous écoutera, mais au moins vous serez contents, vous aurez l'impression d'avoir été écoutés".

Tu parles d'un pivot, d'une pierre angulaire.

Combien de temps encore allons-nous supporter, nous généralistes, de nous faire bafouer de la sorte ?
Combien de temps encore allons-nous entretenir ce complexe d'infériorité vis-à-vis des autres spécialités ?

Oui j'ai bien dit "des autres spécialités". Parce que la médecine générale est une VRAIE spécialité. Sauf que ce n'est pas la spécialité qui greffe des visages ou fait je ne sais quelle intervention médiatique.
Je ne dénigre en rien ces équipes qui font un travail remarquable.
Je serais bien incapable de faire ce travail là ! Mais seraient-ils capables de faire le mien ?

Historiquement, la médecine générale, ce n'était "pas grand chose". On apprenait le métier dans les cabinets médicaux de ville une fois qu'on devenait remplaçant ou que l'on s'installait.
Il faut croire que les patients ont une bonne santé, puisque la plupart ont survécu à ces médecins "sans expérience" et sans savoir spécifique à leur métier.

Mais depuis, tout a changé.
Les futurs généralistes se forment et apprennent leur métier. J'espère qu'il leur est enseigné avec passion. Ces nouveaux généralistes suivent des études longues. 9 ans après le bac pour obtenir une spécialité qu'eux seuls exerceront : la médecine générale.

J'apprends à mes internes à respecter les confrères des autres spécialités. Qu'au milieu de tout se trouve le patient et que nous devons tous travailler pour lui, en harmonie. Et pas dans le dénigrement.

"A simple thing, where have you gone ? I'm getting old and I need something to rely on. So tell me when you're gonna let me in. I'm getting tired and I need somewhere to begin" (Somewhere only we know, Keane) (= Simplement, où es-tu parti ? Je vieillis et j'ai besoin de quelqu'un sur qui compter. Alors dis-moi que tu me laisseras entrer. Je fatigue et j'ai besoin d'un endroit par où commencer)


Hier, Borée a annoncé ici qu'il allait dévisser sa plaque dans 3 mois.
J'ai lu des commentaires peu élogieux en réaction à ce billet. Cela me désole.
Parce qu'ils ne le connaissent pas et qu'ils se permettent de le juger quand même.
Parce qu'on fait semblant de s'indigner sur le fait que les médecins ruraux expriment leurs sentiments de solitude et de mal-être, alors qu'ils exercent là où on ne trouve même plus de bureau de Poste, voire de boulangerie.
Nous devrions donc "montrer l'exemple".
Oui, le pivot... tout ça tout ça...
Moi j'y entends "Arrêtez de vous plaindre, allez bosser bande de feignasses et on s'en fiche si vous n'avez pas de famille pas de loisirs et que vous sombrerez rapidement dans le burn-out".

"J'accepte quoiqu'il m'en coûte, tout le pire du meilleur. Je prends les larmes et les doutes et risque tous les malheurs. Tout mais pas l'indifférence, tout mais pas le temps qui meurt. Et les jours qui se ressemblent, sans saveur et sans couleur" (Pas l'indifférence, Jean-Jacques Goldman)


C'est ce qui me révolte le plus.
L'impression que tout le monde trouve cela "normal".
Notre profession sombre dans l'indifférence la plus totale. En tout cas, c'est ce que je ressens.
Et rien ne semble bouger.
Les pouvoirs publics vont-ils attendre que la situation soit catastrophique pour s'en charger ? Autant tenter d'éteindre un incendie de forêt un jour de canicule et par grand vent. Alors qu'on pourrait tenter d'éviter que l'étincelle n'arrive.

"Emportés par la foule qui nous traîne, nous entraîne, nous éloigne l'un de l'autre, je lutte et je me débats. Mais le son de ma voix s'étouffe dans le rire des autres. Et je crie de douleur, de fureur et de rage, et je pleure" (La foule, Edith Piaf)

La foule nous éloigne peu à peu, nous les médecins généralistes, de l'exercice de notre métier dans des conditions décentes.
Je ne parle pas de gagner plus. Je ne parle pas de travailler 35 heures par semaine. Mais uniquement de travailler dans de bonnes conditions en respectant notre trépied.

On me dit parfois "T'as signé, c'est pour en chier".
Non, je n'ai pas signé pour ça.
Et pour l'instant, j'ai encore espoir de faire bouger les lignes et changer les choses.
Mais le jour où je perdrai cet espoir, je crois bien que je dévisserai aussi ma plaque.
Et j'ai peur que nous soyons, d'ici là, nombreux dans ce cas.

6 commentaires:

  1. Non, ce n'est pas normal en effet, et ce que "les gens" demandent au médecin, ils ne le feraient pas eux-mêmes. Alors continuez de nous informer, continuer d'écrire, continuez...

    RépondreSupprimer
  2. J'ai une boule au ventre en te lisant, Matt... Je n'arrive pas à accepter que, peut-être, parmi les gens que je vais soigner aujourd'hui, il y en a qui ont (ou auraient pu) laissé ces fameux commentaire chez Borée. Que ces gens qui critiquent ne savent même pas de quoi ils parlent. Que la mauvaise fois et les arguments fallacieux m'épuisent. Que quand je vous lis tous, en ce moment, j'ai mal à ma médecine. Et surtout, surtout, j'ai du mal à accepter que tout cela, les blogs, le partage de qui nous sommes vraiment - des vrais gens, avec des défauts, des envies et des craintes dedans - avec les lecteurs, les rencontres ministérielles... que tout cela, donc, ne serve finalement à rien. Et je suis triste.

    RépondreSupprimer
  3. Ce que vous faîtes, vous bloggeurs, vous twittos, vous auteurs de livre (Borée, Jaddo....) va dans le sens d'une meilleure compréhension de votre métier par vos patients. Certes, votre "lectorat", ce n'est pas monsieur tout le monde, et il faut certes faire le pas de venir vous lire.
    Mais on ressent bien dans tous vos écrits que la Médecine Générale c'est avant tout un lien fort de confiance entre le médecin et le patient. Prescrire des médicaments ne vous intéresse pas, ce que vous voulez c'est soigner les gens. Prendre le temps de nous connaitre, de comprendre, de chercher. Cette façon de voir la MG, je ne l'ai pas vécu ainsi avant. Avant de vous suivre, de vous lire. Je retrouve tout le sens du "médecin de famille" d'antant. Faut dire également que vous n'êtes pas aidé. Aucune communication en ce sens. Personne pour expliquer que vous n'êtes pas (uniquement) des délivreurs de sirop. Et sur ce point je comprends votre désarroi.
    Internet vous fait et du mal et du bien. Du mal car les gens vont voir sur Internet pour trouver la maladie qu'ils pensent avoir avant d'aller leur médecin (et leur dire ce qu'ils veulent comme médicament). Du bien car c'est également un très bon outil de communication ouvert, aspect que vous avez su utiliser en blogant, twittant.... Continuez ainsi, écrivez, décrivez, rapportez, expliquez votre métier... pour apparaître en première ligne sur Internet.
    Bon, faut également le dire, Internet touche un certain public. Il vous sera difficile de cibler vos patients à la campagne qui ont autre chose à faire que d'aller sur twitter. Votre cible est plutôt dans la jeunesse (un peu moins jeune). La prise de conscience sera alors plus longue (faut attendre qu'ils grandissent).

    Au plaisir de vous suivre et de vous lire.
    @blink38

    RépondreSupprimer
  4. J'ai effectivement toujours espoire que la situation s'améliore, que nous marcherons la main dans la main avec la Sécu pour trouver des solutions.
    En attendant ma clientèle commence à me ressembler et m'est fidèle et je suis de mieux en mieux dans mon cabinet... à défaut d'une autre reconnaissance.

    RépondreSupprimer
  5. La médecine générale est bien la partie la plus difficile de l'exercice de la médecine!
    (je suis pédiatre)

    RépondreSupprimer
  6. "main dans la main avec la sécu" ???? Ca ne PEUT PAS arriver ... ce n'est qu'un avis personnel étayé par des années de lutte et d'incompréhension où il me faudrait 3 tomes pour en donner les détails. Je n'en ai ni le courage ni le talent.

    RépondreSupprimer