Depuis janvier 2021, je participe à un billet d'humeur "La santé dans tous ses états" dans les colonnes du Quotidien du Médecin, en alternance avec Karine Lacombe, Emmanuelle Quilès et Jean-Daniel Flaysakier.
Ce texte est reproduit ici avec l'accord du QdM
Covid : Protéger, prévenir et soigner sans abandonner notre humanité
La crise que nous vivons a bousculé les certitudes et les habitudes des Français. En première ligne, les acteurs de santé ont parfois dû insister pour se faire entendre. Pour autant, les restrictions que nous subissons ne sont pas faites pour eux, mais afin de protéger le plus grand nombre. Pour ne pas avoir à opérer des choix déchirants…
Depuis bientôt un an, nos vies ont été profondément bouleversées. Nous sommes passés d’une forme d’insouciance et de foi en un avenir forcément meilleur à une incertitude sur ce que sera notre quotidien de la semaine suivante.
Les médecins, si on exclut ceux qui n’ont cherché qu’à briller médiatiquement mettant au rebut leur serment ou la déontologie, n’ont eu de cesse que de chercher à protéger le plus grand nombre de patients, à soigner le plus possible voire à éviter qu’ils ne soient emportés par ce virus. Force est de constater que le Sars-Cov-2 est, et reste, trop souvent plus fort que toute l’énergie et le savoir-faire que les soignants ont déployé et déploient encore, parfois au détriment de leur propre santé.
Au printemps 2020, dans les régions les moins touchées, une partie de la population était dans l’incompréhension face à une épidémie qu’elle ne voyait pas venir. Une frange de l’opinion s’est mise à imaginer que notre pays avait changé et que les soignants avaient pris le pouvoir pour imposer ce que certains sur les réseaux sociaux ont qualifié de « dictature sanitaire ». Et de voir fleurir les réflexions sur l’atteinte aux libertés individuelles, sur le fait que ce virus ne tuerait « que les vieux » et que les plus jeunes étaient une génération sacrifiée.
Du point de vue des soignants, une grande partie des mesures de santé publique prises par nos dirigeants est apparue au mieux incompréhensible, au pire totalement inadaptée. Voire teintée de mensonges, comme la funeste histoire des masques inutiles au printemps pour masquer leur absence et la mauvaise gestion par les services sanitaires. Parmi les soignants, nombreux sont ceux qui ont tenté d’avertir les pouvoirs publics et de les faire changer de stratégie. Nous avons dû insister pour le port du masque en intérieur et dans tous les lieux clos car le risque d’aérosolisation était quasi ignoré, même si les preuves s’accumulaient. Tout ceci alors que le même masque était recommandé en extérieur, y compris au bord de mer ou en forêt, ou dans des endroits où la probabilité de croiser le moindre coronavirus était quasi nulle.
Il a fallu ensuite apporter les preuves de la nécessité de faire porter des masques aux enfants scolarisés, en brisant l’idée reçue jamais vérifiée ou scientifiquement publiée par certaines sociétés savantes, qu’ils étaient peu contaminants ou que le virus était suffisamment bien élevé pour s’arrêter aux portes des écoles ou des salles de sports si celles-ci étaient occupées par des moins de 18 ans.
Les soignants continuent encore de recommander des petites modifications de nos habitudes pour éviter de revivre un ou des confinements. Avec un succès trop mitigé. Force est de constater que si la dictature sanitaire était en place, elle ne serait nullement pilotée par des médecins ou des soignants.
L’opinion publique s’habitue peu à peu au monde d’après. Celui d’après la période insouciante et individualiste que nous avions connue. Il y a encore quelques mois, plus de 10 000 nouveaux cas par jour étaient de nature à tous nous inquiéter et faisaient les titres des médias. Désormais, nous dépassons les 20 000 nouvelles contaminations quotidiennes, diagnostiquées dans une forme d’indifférence du grand public. Certains même avancent que les mesures prises comme les confinements ou le couvre-feu, n’auraient qu’un but : protéger les soignants ou le système de santé en rognant nos libertés individuelles de sortir, d’aller au cinéma, au théâtre, au restaurant… autant de lieux clos fermés et qui laisseront des séquelles psychologiques chez ceux qui y travaillent et ont été contraints de fermer.
Mais ne nous y trompons pas. Il s’agit de tout sauf de nous protéger, nous soignants, ou de sauvegarder notre outil de travail. Il s’agit d’un choix de société. Celui de vouloir protéger, prévenir et soigner tous nos concitoyens, sans avoir à choisir, faute de moyens suffisants, qui serait digne ou suffisamment encore vaillant pour bénéficier des soins nécessaires à sa santé. Il s’agit aussi de ne pas accepter de laisser se contaminer une trop grande partie de la population, à l’heure où commencent à s’accumuler des signes de séquelles à long terme liées au coronavirus chez des patients jeunes et en bonne santé auparavant. Il s’agit d’être altruiste. De se protéger soi tout en protégeant les autres.
Si la société faisait un autre choix, celui par exemple de retourner à notre vie d’avant, en acceptant de laisser circuler le virus et de perdre une partie de nos voisins, familles ou amis, il faudrait l’assumer ensuite. Tout comme il faudrait alors assumer de perdre une partie de ce qui fait notre humanité.