mercredi 3 février 2021

Covid : Protéger, prévenir et soigner sans abandonner notre humanité

Depuis janvier 2021, je participe à un billet d'humeur "La santé dans tous ses états" dans les colonnes du Quotidien du Médecin, en alternance avec Karine Lacombe, Emmanuelle Quilès et Jean-Daniel Flaysakier.

Ce texte est reproduit ici avec l'accord du QdM


Covid : Protéger, prévenir et soigner sans abandonner notre humanité


La crise que nous vivons a bousculé les certitudes et les habitudes des Français. En première ligne, les acteurs de santé ont parfois dû insister pour se faire entendre. Pour autant, les restrictions que nous subissons ne sont pas faites pour eux, mais afin de protéger le plus grand nombre. Pour ne pas avoir à opérer des choix déchirants…

Depuis bientôt un an, nos vies ont été profondément bouleversées. Nous sommes passés d’une forme d’insouciance et de foi en un avenir forcément meilleur à une incertitude sur ce que sera notre quotidien de la semaine suivante.

Les médecins, si on exclut ceux qui n’ont cherché qu’à briller médiatiquement mettant au rebut leur serment ou la déontologie, n’ont eu de cesse que de chercher à protéger le plus grand nombre de patients, à soigner le plus possible voire à éviter qu’ils ne soient emportés par ce virus. Force est de constater que le Sars-Cov-2 est, et reste, trop souvent plus fort que toute l’énergie et le savoir-faire que les soignants ont déployé et déploient encore, parfois au détriment de leur propre santé.

Au printemps 2020, dans les régions les moins touchées, une partie de la population était dans l’incompréhension face à une épidémie qu’elle ne voyait pas venir. Une frange de l’opinion s’est mise à imaginer que notre pays avait changé et que les soignants avaient pris le pouvoir pour imposer ce que certains sur les réseaux sociaux ont qualifié de « dictature sanitaire ». Et de voir fleurir les réflexions sur l’atteinte aux libertés individuelles, sur le fait que ce virus ne tuerait « que les vieux » et que les plus jeunes étaient une génération sacrifiée.

Du point de vue des soignants, une grande partie des mesures de santé publique prises par nos dirigeants est apparue au mieux incompréhensible, au pire totalement inadaptée. Voire teintée de mensonges, comme la funeste histoire des masques inutiles au printemps pour masquer leur absence et la mauvaise gestion par les services sanitaires. Parmi les soignants, nombreux sont ceux qui ont tenté d’avertir les pouvoirs publics et de les faire changer de stratégie. Nous avons dû insister pour le port du masque en intérieur et dans tous les lieux clos car le risque d’aérosolisation était quasi ignoré, même si les preuves s’accumulaient. Tout ceci alors que le même masque était recommandé en extérieur, y compris au bord de mer ou en forêt, ou dans des endroits où la probabilité de croiser le moindre coronavirus était quasi nulle.

Il a fallu ensuite apporter les preuves de la nécessité de faire porter des masques aux enfants scolarisés, en brisant l’idée reçue jamais vérifiée ou scientifiquement publiée par certaines sociétés savantes, qu’ils étaient peu contaminants ou que le virus était suffisamment bien élevé pour s’arrêter aux portes des écoles ou des salles de sports si celles-ci étaient occupées par des moins de 18 ans.

Les soignants continuent encore de recommander des petites modifications de nos habitudes pour éviter de revivre un ou des confinements. Avec un succès trop mitigé. Force est de constater que si la dictature sanitaire était en place, elle ne serait nullement pilotée par des médecins ou des soignants.

L’opinion publique s’habitue peu à peu au monde d’après. Celui d’après la période insouciante et individualiste que nous avions connue. Il y a encore quelques mois, plus de 10 000 nouveaux cas par jour étaient de nature à tous nous inquiéter et faisaient les titres des médias. Désormais, nous dépassons les 20 000 nouvelles contaminations quotidiennes, diagnostiquées dans une forme d’indifférence du grand public. Certains même avancent que les mesures prises comme les confinements ou le couvre-feu, n’auraient qu’un but : protéger les soignants ou le système de santé en rognant nos libertés individuelles de sortir, d’aller au cinéma, au théâtre, au restaurant… autant de lieux clos fermés et qui laisseront des séquelles psychologiques chez ceux qui y travaillent et ont été contraints de fermer.

Mais ne nous y trompons pas. Il s’agit de tout sauf de nous protéger, nous soignants, ou de sauvegarder notre outil de travail. Il s’agit d’un choix de société. Celui de vouloir protéger, prévenir et soigner tous nos concitoyens, sans avoir à choisir, faute de moyens suffisants, qui serait digne ou suffisamment encore vaillant pour bénéficier des soins nécessaires à sa santé. Il s’agit aussi de ne pas accepter de laisser se contaminer une trop grande partie de la population, à l’heure où commencent à s’accumuler des signes de séquelles à long terme liées au coronavirus chez des patients jeunes et en bonne santé auparavant. Il s’agit d’être altruiste. De se protéger soi tout en protégeant les autres.

Si la société faisait un autre choix, celui par exemple de retourner à notre vie d’avant, en acceptant de laisser circuler le virus et de perdre une partie de nos voisins, familles ou amis, il faudrait l’assumer ensuite. Tout comme il faudrait alors assumer de perdre une partie de ce qui fait notre humanité.

vendredi 9 octobre 2020

Une goutte d'eau dans le désert

Depuis cette pandémie, j'écoute un peu moins souvent de musique. L'esprit trop préoccupé pour en profiter, écouter et entendre comme à mon habitude tous les instruments, toutes les nuances, toutes les voix présentes.

Aussi, parce que la musique est toujours autant quelque chose qui me touche profondément, même sans mot. Beaucoup d'émotions ressenties. Elle résonne. Trop parfois. 

J'en écoute moins. Cela ne veut pas dire que je n'en écoute plus du tout. Hier, en rentrant tard de la faculté, au hasard de ma playlist, Pascal Obispo est arrivé. Pas seul, accompagné de beaucoup d'artistes. Pour "Sa raison d'être". Une soignante qui travaille pour prendre en charge des patients atteint d'un virus non maîtrisé.

Je l'ai écoutée. Avec une autre oreille. Avec un autre regard.

« Elle en a vu de toutes les douleurs. En est revenue de tant de combats"

J'ai pensé aux collègues, hospitaliers. Toutes professions confondues, qui ont connu une période plus difficile encore que ce que l'on peut imaginer. A ne plus compter le nombre de patients. A enchaîner.

« Elle a tellement tendu son cœur, là où d'autres ont baissé les bras »

Prenez du recul. Ne vous investissez pas émotionnellement dans votre relation médecin patient. Ca c'est la théorie.
En pratique, on finit toujours par y laisser un peu de soi. Soigner, c'est faire preuve d'empathie. Plus ou moins importante selon les cas, selon les soignants. Beaucoup d'entre-nous y laissent des morceaux de leur être. Parce qu'on veut toujours tenter de venir en aide au plus grand nombre. Parce qu'on n'a pas choisi ce métier par hasard la plupart du temps.

Je me demande parfois si cette partie du métier est bien comprise par ceux qui ne l'exercent pas. Que nous allons accompagner, soigner et tenter de guérir. Mais être là.

« Elle dit qu'après certains regards, les mots deviennent dérisoires »

Un silence. Une compréhension des patients. Parfois quand ils sont proches de leur derniers instants. Leurs yeux parlent en silence.

Les regards des familles aussi. Souvent. Leur peine. Leur espoir. On lit comme dans des livres ouverts. On comprend. Sans un mot.

« On fait les choses parce qu'elles s'imposent, sans se demander »

Soigner parce qu'on doit. Parce qu'on ne se pose pas la question, puisqu'on a choisi ce métier. Nous ne sommes pas des héros ou des soldats. Pas besoin de médaille. Juste des soignants. 

Et parce que parfois, quand nous sommes submergés, nous agissons, sans réfléchir. Parce que si nous nous mettions à le faire, cela deviendrait peut-être trop difficile. Alors on fait. On encaisse. Et on y repense. Plus tard.

« C'est peut-être une goutte dans la mer. C'est peut-être une goutte d'eau dans le désert »

Ca change quoi au final ? Tous ceux d'entre-nous qui tentons d'avertir la population, de promouvoir la prévention dans le but d'avoir le moins de malades graves possible. Au final, est-ce peine perdue ? Est-ce que c'est vraiment utile, quand on voit que pour « une goutte », des torrents de désinformation et de contre-vérités sont déversés ?

« Oui mais c'est sa raison d'être. Sa raison d'être »

On a signé. On a choisi. Est-ce qu'on peut se plaindre ? Personne ne nous a forcés. C'est notre métier. 

Mode automatique enclenché. Quand c'est possible.

« Oh, elle en a essuyé des yeux, elle en a baissé des paupières »

La COVID a tué et tue encore. De tous âges. De tous antécédents. En nombre. Et je ne peux qu'imaginer les confrères de réanimation qui ont dû enchaîner les annonces aux familles. En tentant de tenir debout. En faisant attention aux mots prononcés car ils seront les seuls qu'une famille endeuillée retiendra. Mais qui a pris soin d'eux ?

Ils ont déployé de la bienveillance envers les malades, envers la famille. De l'empathie. Un peu d'eux, pour accompagner.

« Oubliant même que le ciel est bleu à tant se pencher dans la poussière »

Combien ont enchaîné les jours de travail. Les réunions d'organisation aussi. Dans une totale dévotion, en tentant de préserver leurs proches de cette maladie. Parfois même en ne les voyant pas ou peu, de peur de les contaminer, sachant combien ils allaient au charbon.

Pendant qu'une partie de la population vivait un confinement surprenant par sa soudaineté et le fait que leur travail était mis en pause, d'autres ont souffert en faisant le leur. Jusqu'à y laisser leur vie.

« Elle dit qu'on peut toujours trouver, des excuses pour ne pas bouger »

La peur. L'individualisme. La sidération... beaucoup de raisons de ne rien faire. 

On ne peut pas sauver le monde. On ne peut pas tout. Est-ce que cela veut dire qu'on ne peut rien ?

Nombre de soignants ne se sont même pas posé la question et sont allés faire leur métier.

« Elle, elle préfère encore se taire, et faire ce qu'elle a à faire »

Combien de soignants se sont plaints de la situation ? Beaucoup. Mais pas plaints de devoir travailler et faire ce pour quoi ils avaient été formés. Non, les soignants se sont plaints de ne pas pouvoir travailler correctement, pas de devoir travailler trop en cette période d'épidémie.

Mais beaucoup se sont tus. Et y sont allés. Sans masque. Sans blouse. Applaudis le plus souvent par une population qui tapait dans ses mains comme pour effrayer le virus et se dire qu'ils étaient bien vivants, plus que pour applaudir ces confrères qui travaillaient sans relâche.

« C'est peut-être une goutte dans la mer. C'est peut-être une goutte d'eau dans le désert. Oui mais c'est sa raison d'être. Sa raison d'être »

Recommencer. Encore. Et encore. Cernés par les rassuristes, les complotistes de tous bords et de tous horizons...

« Oh, elle en a brisé des silences, poussé des cris contre les murs »

En plein été, de nombreux collègues ont tenté de prévenir la population. De leur faire prendre des précautions pour éviter de voir la situation s'aggraver. Montrés du doigt comme alarmistes ou jusqu'au-boutistes. 

Et certains bien pensants de déclarer qu'il faut vivre, à fond, sans se préoccuper des autres. De Nicolas Bedos à Laurent Ruquier, de confrères qui lisent dans le marc de café à d'autres qui trouvent les trottinettes plus dangereuses... Il est interdit d'interdire. Il ne faut pas que les vieux et les fragiles m'empêchent de vivre comme j'ai envie.

« Avec pour échos l'indifférence et des rancunes encore plus dures »

Je ne compte plus les messages disant qu'on en faisait beaucoup pour une petite grippe. Que les masques c'était signe de soumission. 

Je ne compte plus les découragements à la pelle... même parmi les plus investis. Une forme de fatalité. Et d'enfermement des soignants. On leur imposé de soigner, d'éteindre un incendie fait à partir de braises sur lesquelles on continue de souffler.

L'investissement sans limite du printemps est devenu la norme. Si la deuxième vague arrive, ils devront refaire pareil. Sous peine de passer pour des lâches. Sans les applaudissements. Sans vacances. Sans repos. Sans leurs proches parfois. Sans l'insouciance dont font preuve les Jean Moulin anti masques et anti altruisme, les nombrilistes du monde d'après.

« Car aujourd'hui, si l'existence ici ne se limite qu'à la survie, il faut savoir qu'une aile de papillon peut tout changer pour de bon »

Il n'est jamais trop tard pour changer ou tenter de limiter les dégâts de ce virus aussi invisible qu'agressif pour ceux qui étaient déjà plus fragiles avant de croiser sa route.

« C'est peut-être une goutte dans la mer. C'est peut-être une goutte d'eau dans le désert. Oui mais c'est sa raison d'être. Sa raison d'être »

Jusqu'à quand ?

dimanche 26 juillet 2020

Alter / ego

"Et ces batailles dont on se fout, c'est comme une fatigue, un dégoût. À quoi ça sert de courir partout ? On garde cette blessure en nous, comme une éclaboussure de boue qui n'change rien, qui change tout. Évidemment, évidemment, on danse encore sur les accords qu'on aimait tant. Évidemment, évidemment, on rit encore pour des bêtises comme des enfants, mais pas comme avant" (Evidemment, France Gall)

Pas comme avant.
Le monde d'après... D'après l'épidémie, d'après le confinement.
Dans la tête de beaucoup, j'ai l'impression que le confinement a fait gagner une espèce de totem d'immunité digne de Koh Lanta.
Personne n'a rien gagné dans l'histoire.
Et le confinement n'a pas vraiment été une mesure populationnelle (pour protéger la population) mais plutôt institutionnelle (pour protéger notre système de santé de la surchauffe afin d'éviter d'avoir à choisir quel patient serait admis en réa et quel patient ne le serait pas, faute de place suffisante).

Tout le monde en a marre, et les soignants les premiers. Beaucoup sont en burn out, soignants ou non d'ailleurs, parce que les nerfs ont été mis à rude épreuve. Et la deuxième vague est surtout une vague psychologique pour le moment.
Donc, tout le monde a envie de penser à autre chose. De vivre d'autres choses. De "re"vivre. Comme avant. Oublier le virus. Retrouver de l'insouciance.

"Dépassé, le chacun pour soi, quand je pense à toi, je pense à moi" (Les restos du coeur, Les Enfoirés)

Les masques sont devenus obligatoires depuis une semaine dans tous les lieux publics clos.
Et fleurissent sur tous les réseaux les thèses les plus conspirationnistes et farfelues possibles.
Le refus du port du masque devient même par endroits un symbole de rébellion anti-système...
Et j'enrage. J'avoue.

Ma sérologie COVID-19 est positive.
J'ai donc attrapé le coronavirus au printemps. Quand ? Je ne sais pas. Je dirais au courant du mois de mars.
J'ai pourtant pris toutes les précautions possibles et imaginables sur mon lieu de travail. Mais il y a la vie en dehors qui a pu m'exposer aussi. Les transports en commun à Paris par exemple, et le RER où la distanciation physique est juste une vaste blague.
Ou tout simplement, vu le peu de protection qui a été mise à notre disposition, nous soignants, par les pouvoirs publics, j'ai pris un risque en faisant mon métier, et j'ai contracté le virus. A l'image de ce collègue de la ville voisine qui, lui, y a laissé la vie.

"Prends garde à toi si tu t'aimes. Prends garde à moi si je m'aime. Garde à nous, garde à eux, garde à vous et puis chacun pour soi. Et c'est comme ça qu'on s'aime s'aime s'aime s'aime [...] Un jour tu verras, on s'aimera, mais avant on crèvera tous, comme des rats" (Carmen, Stromae)

Admettons que les anticorps soient protecteurs, c'est à dire que je sois immunisé et protégé contre le SARS-Cov2 (mais c'est une hypothèse car on n'en sait pas grand chose pour le moment)... Admettons...
Je n'aurais donc aucun risque d'attraper ce virus et d'en développer des symptômes graves, puisque je suis protégé.
Donc fuck les masques, rien à battre, j'ai déjà été malade, je peux vivre en mode YOLO.
Et pourtant, quelle mouche me pique en mettant des masques à chaque fois que je sors, bien avant l'obligation; Pourquoi je m'entête à ne pas faire la bise à ma famille et mes amis, ou à ne pas les serrer fort dans mes bras même si j'en ai envie ?
Après tout, MOI, je ne risque rien (si l'hypothèse des anticorps protecteurs était valide).

Et bien...
Imaginons que cette hypothèse ne soit pas valable. Ou juste un peu valable : je ne développerais pas la COVID-19 mais pourrais être source de contamination ?
Est-ce que je serais prêt, moi, à me dire que j'aurai peut-être causé la mort d'une personne de mon entourage ?
Bien entendu, il ne faut pas céder à la psychose, le taux de mortalité est faible, et heureusement. Mais imaginez le poids de la culpabilité à porter dans ce cas ?
Parce que, même en prenant les précautions maximales, en respectant les gestes barrière, le risque zéro n'existe pas.
Que ferez-vous, VOUS, si par votre envie de ne pas être un soi-disant mouton, vous contaminez un proche et qu'il y laisse la vie ?

Quand allons-nous penser aux autres autant qu'on pense à soi ?
Quand allons-nous arrêter de nous regarder le nombril en nous extasiant, tout en critiquant tous les autres autour ?
Y a-t-il un moment où nous allons prendre conscience que l'existence de l'autre compte autant que la nôtre et que c'est ensemble que nous serons plus forts plutôt que par la somme de nos individualités ?

"J'accuse les hommes. Je veux qu'on les condamne au maximum, qu'on arrache leur âme et qu'on la jette aux rats et aux cochons pour voir comment eux ils s'en serviront. J'accuse les hommes, en un mot comme en cent, j'accuse les hommes d'être bêtes et méchants, bêtes à marcher au pas des régiments, de n'être pas des hommes tout simplement." (J'accuse, Michel Sardou)

J'ai beau chercher à comprendre, je n'y arrive pas. J'aime bien décortiquer et comprendre les rouages de chacun, en tenant compte du vécu, des souffrances, de l'histoire en somme.
Et là... je n'arrive pas à comprendre comment, après ce premier semestre et ce que nous avons toutes et tous vécu, il a pu naître dans la tête de certains que protéger l'autre était un signe de soumission. Je ne comprends pas.
Et j'ai peur de ne jamais comprendre ou recevoir une explication logique voire cartésienne.
Alors, je vais me contenter de me dire, comme le font les enfants, qu'il y a des super héros au quotidien, altruistes et mus par le bien-être de la communauté comme du leur.

Et ces héros sortent masqués...

jeudi 11 juin 2020

Cassandre

"Yes, I said it's fine before, but I don't think so no more. I said it's fine before, I've changed my mind, I take it back. Erase and rewind" (Erase/Rewind, The Cardigans)
(Oui, j'ai dit que c'était bon avant, mais je ne le pense plus. J'ai dit que c'était bon avant, j'ai changé d'avis, je retire ce que j'ai dit. Efface et rembobine)

Dans la tête d'une grande partie de la population, l'épidémie est finie.
Certes on en parle encore, mais maintenant c'est loin, en Amérique du Sud, en Afrique ou ailleurs, mais loin.
Et puis, finalement "ils" ont dit dans les journaux qu'il y avait eu des morts, mais Tonton machin, Tata truc, ou Mamie et Papy, ils sont en pleine forme.
Et les complotistes de dire que ce virus n'a peut-être pas existé, que c'était une invention pour nous rendre plus dociles bla-bla-bla...

Les héros de la nation, ont été applaudis tous les soirs à 20h.
"Ils ont fait un travail si extraordinaire. Nous sommes si fiers d'eux".
Traduisez par "Faites pas les cons les mecs, on a peur de mourir alors débrouillez-vous pour qu'on reste en vie".
L'épidémie est finie en façade.
Alors, on recommence à dire qu'en fait les héros de la nation, ils sont héros parce qu'ils l'ont bien voulu/cherché aussi. Ils ont passé un concours en bossant dur, ils le savaient.
"T'as signé, c'est pour en chier".
Et puis, ils vont quand même pas venir se plaindre de ne pas être payés assez, on leur paye grassement leurs études. Ils nous devaient ce dévouement lors de l'épidémie. 
Quand même. Faut pas abuser. Ils veulent quoi ? Une médaille peut-être ?


"Dans les poulaillers d'acajou, les belles basses-cours à bijoux, on entend la conversation de la volaille qui fait l'opinion. Ils disent : On peut pas être gentils tout le temps, on peut pas aimer tous les gens. Y a une sélection. C'est normal. On lit pas tous le même journal" (Poulailler song, Alain Souchon)

Les enseignants ont fait un travail formidable.
Beaucoup se sont rendus compte que leur enfant n'était pas surdoué mais juste un enfant qui a besoin de bouger, comme nombre d'enfants.
D'autres ont compris ce que les enseignants entendaient par "votre enfant a un peu de mal à se concentrer" alors qu'ils avaient des œillères à ce sujet jusque là.
Les enfants ont continué à garder un contact avec l'école. Dans leur immense majorité, les enseignants ont mal vécu le confinement car ils aiment leur métier, ils aiment les enfants à qui ils enseignent, et savaient très bien lesquels allaient subir les conséquences de cette absence prolongée de scolarisation et se sont inquiétés pour eux et leur avenir.
Mais bon, en même temps, c'est pas parce qu'ils ont fait 3 feuilles photocopiées et 2 séances de visio qu'ils ont justifié leur salaire. Quand même, mon enfant, en 2h, il avait torché son boulot. Donnez-moi du travail de l'année prochaine, je vais vous montrer, moi, ce que c'est que de le faire avancer mon chérubin. Je vais vous apprendre un peu votre métier, tire-au-flanc !

"Le passé c'est comme de la poussière qu'on souffle sur un meuble. Les particules qui dansent dans le soleil disparaissent toutes seules" (Tout c'qui nous sépare, Jil Kaplan)

Le monde d'après. Un monde à reconstruire.
J'ai cru que cette pandémie allait être un électrochoc. Que le monde allait enfin se réveiller, se rendre compte de la valeur de certaines professions indispensables et la futilité de certaines autres. Que l'humain allait reprendre sa place, dans la communauté, et que cette même communauté signifierait quelque chose.
Qu'on allait prendre soin de son prochain tout autant que de soi.
Mais bon, c'est pénible de respirer avec ce masque tout le temps, alors je laisse dépasser mon nez, sinon j'aime pas. Et puis bon, ils nous embêtent aussi avec leurs mesures pénibles là. On aimerait bien pouvoir vivre comme avant. Après tout, on a survécu, nous. C'est sûrement parce qu'on est l'élite, la crème de la crème de l'humanité. Alors je veux faire ce que j'ai envie de faire.

"Help me to decide, help me make the most of freedom and of pleasure. Nothing ever lasts forever. Everybody wants to rule the world" (Everybody wants to rule the world, Tears for Fears)
(Aide-moi à décider, aide-moi à profiter du plus de liberté et de plaisir. Rien ne dure toujours. Tout le monde veut gouverner le monde)

La vie reprend son cours. Son cours d'avant. Le monde retourne à ses vieilles habitudes. On continue de compter les morts. Mais c'est un peu comme si beaucoup avaient intégré cette notion et étaient passés à autre chose.
C'est quand même dégueulasse d'avoir annulé tous les festivals et tous les grands rassemblements. J'aimais bien moi. Puis bon, ce virus, là, il touche surtout les vieux. Les festivals c'est un truc de jeunes.

Le monde d'après, c'est le monde d'avant, avec des masques (parfois)

dimanche 12 avril 2020

22 222

"I can't get no satisfaction, I can't get no satisfaction, and I try, and I try, and I try, and I try. I can't get no satisfaction" (Satisfaction, The Rolling Stones)
(Je ne peux obtenir aucune satisfaction, je ne peux obtenir aucune satisfaction, j'essaye, j'essaye, j'essaye, j'essaye, je ne peux obtenir aucune satisfation)

22 221 km au compteur de ma voiture. Je m'en rends compte par hasard.
Le confinement dure depuis près d'un mois. Pour certains je suis un privilégié car je peux sortir et aller au travail "comme d'habitude".
Voir du monde. Je comprends que certains m'envient. Même si...

Le travail ne ressemble plus vraiment à celui que j'exerçais en 2019. Je me change en arrivant au cabinet. Une tenue qui reste sur place. Je mets un masque. Je me lave tellement les mains que j'en ai un eczéma dyshidrosique (en gros j'ai les mains qui pèlent).
Je nettoie mon stéthoscope et tout le matériel que j'utilise entre chaque patient.
J'attrape les abaisse-langue comme je jouerais au Mikado.
Plus aucune main serrée, j'ouvre et ferme les portes moi-même. Je finis par me dire qu'on aurait dû toujours fonctionner comme ça peut-être.

J'apprends par Jan (associé, ami, pilier... bref, Jan quoi) que toutes ces précautions que nous avons mises en place et nous ont semblé évidentes ne sont pas appliquées chez tous les confrères du coin ou de France. Il faut dire aussi que nous ne sommes pas aidés niveau masques...
Je ne suis pas d'accord avec ceux qui poussent des cris d'orfraie "l'Etat doit nous fournir des masques". Je suis libéral. Je suis totalement disposé à les acheter. Sauf que... on n'en trouve nulle part... donc on attend de l'Etat qu'il protège ses soignants en lui mettant des masques à disposition... ce qu'il fait... à coups de 12 masques chirurgicaux par semaine et 6 FFP2 (enfin, quand il y en a...)

Et fleurissent des initiatives de bric et de broc, pour tenter tant bien que mal de se protéger. La 6ème puissance mondiale fait appel à des volontaires pour coudre des masques (quand il ne faut pas les passer au four pour les stériliser), des surblouses, des marques de sport réservent leurs masques de plongée pour en faire des masques de respiration pour les malades hospitalisés...
Si c'est ça la 6ème puissance mondiale, j'ai très peur pour les pays beaucoup moins riches. Ils n'auront pas les mêmes choses à disposition, et on va leur vendre des accessoires hors de prix (parce qu'il ne faut pas se leurrer, il n'y aura pas de petites économies pour certains)... ils vont être frappés encore plus durement que nous par ce virus.

"Je ne suis pas un héros, mes faux pas me collent à la peau. Je ne suis pas un héros, faut pas croire ce que disent les journaux. Je ne suis pas un héros, un héros" (Je ne suis pas un héros, Daniel Balavoine)

20h. Les soignants sont applaudis.
Je reçois des messages régulièrement d'amis qui "m'admirent" pour ce que je fais.
Je ne fais que mon métier. J'ai un syndrome de l'imposteur niveau maximal en me disant que les collègues en services de réanimation sont plus méritants que moi.
Et puis...
Et puis on discute entre nous au sein de la maison de santé. Beaucoup. Souvent. On parle des mesures mises en place et on se dit implicitement qu'on a peut-être limité la propagation à notre échelle grâce à cela... et que c'est aussi ça être soignant. Qu'à notre échelle, être soignant en ville, c'est de limiter les visites à domicile au strict nécessaire. C'est aussi favoriser les téléconsultations quand c'est possible (parce que certains cas nécessiteront toujours un examen clinique présentiel).

On parle de tout. De rien aussi. On passe des longs appels Jan, Julien et moi. Des sujets sérieux. Des sujets légers. En filigrane, notre stress et notre besoin de décompresser, de se dire qu'on n'est pas les seuls à trouver cette période étrange et à ne pas savoir comment extérioriser cette drôle de sensation qui nous habite.

22 221... encore quelques centaines de mètres pour voir ce chiffre 22 222 au compteur. C'est bête. Vouloir être sûr de ne pas rater ça. Avez-vous remarqué à quel point dans ces cas là, le temps et la distance semblent interminables ?
En quoi ce kilomètre là aurait plus de valeur que celui d'avant ? Que celui d'après ?
Tous les kilomètres ne se valent-ils pas au final ?

Les journées de janvier avaient-elles plus ou moins d'importance que nos journées actuelles confinées pour beaucoup ? Ce qu'on a fait en janvier ou en février, on a bien fait de le faire. On aurait pu/dû en faire plus. Avons-nous manqué d'anticipation pour nos vies ?
Les journées d'après le confinement (quand il sera d'actualité, et j'espère que ce ne sera pas le cas trop vite, juste pour faire plaisir à l'économie), seront-elles plus importantes ? Pourquoi ?


"This is the end, hold your breath and count to ten. Feel the Earth move and then hear my heart burst again" (Skyfall, Adèle)
(C'est la fin, retiens ton souffle et compte jusqu'à dix. Sens la Terre bouger et ensuite écoute mon cœur exploser encore)


"Ce problème (insérez ici n'importe quel problématique de santé) est un enjeu majeur de santé publique".

Quand j'assiste à un jury de thèse et que le thésard dit cette phrase, ça m'énerve un peu. C'est un lieu commun. Une phrase un peu vide de sens au final. Comme s'il fallait justifier son travail en disant "nan m'ais j'vous jure, c'est super important le sujet sur lequel j'ai travaillé"
Je n'aime pas trop les lieux communs en général. Moi qui cherche toujours le meilleur mot, le mot le plus précis quitte à me perdre dans des phrases à rallonge pour essayer de rendre fidèlement le contenu un peu trop confus de ma pensée.
Pourtant... Je me dis que le monde que nous avons connu ne reviendra pas. Plus rien ne sera jamais comme avant. Tous ceux qui vous diront qu'après le confinement, qu'après l'épidémie, nous reprendrons nos vies d'avant vous mentent... ou pire, nous mèneront à revivre les mêmes problèmes un jour prochain.

Vers quoi irons-nous ? Un monde plus ouvert, attentif à l'autre ? Moins de codes, moins de leçons de morale en tous genres, une forme de retour de 1968 après toute cette série d'interdictions et de restrictions des libertés ? Un monde "Carpe Diem" en quelque sorte ?
Ou un monde encore plus autocentré, encore plus d'instagrammeuses et instagrammeurs tentant d'influencer leur monde mais surtout de trouver un moyen d'exister (je les plains actuellement, s'ils ne vivaient que de cela, cette épidémie a dû sérieusement mettre à mal leur mode de vie).

J'aimerais penser qu'il y aura moins d'égoïsme, plus d'entraide, plus de tolérance, de respect, de fraternité et d'amour (lieux communs...) mais j'avoue ne pas forcément déborder d'optimisme quand j'observe pendant cette épidémie des comportements me faisant perdre mes mots.
Un sondage récent (qui vaut ce qu'il vaut, comme tous les sondages) rapportait que 25% des français refuseraient un vaccin contre le coronavirus si celui-ci existait...

"Un jour ou l'autre il faudra qu'il y ait la guerre, on le sait bien. On n'aime pas ça, mais on ne sait pas quoi faire, on dit c'est le destin" (Le Sud, Nino Ferrer)

J'espère qu'on n'en n'arrivera pas là. J'espère vraiment. Si je regarde un peu l'histoire du monde, je ne vais pas être optimiste.

J'avais déjà émis quelques craintes auparavant... http://sommatinoroots.blogspot.com/2014/03/carpe-diem.html

22 222... 22 223... 22 224...

A 20 000 il y avait plus d'insouciance. Une forme de foi en un avenir qui forcément allait être bon, voire meilleur.

22 225...

Chaque kilomètre, chaque minute, chaque seconde a son importance, même si ce sont des lieux communs.

"On veut toujours attendre la prochaine, remettre au lendemain. C'est bien plus simple d'émettre des haines bien anonymes tapis dans son coin. Et coulent nos vies et l'eau des fontaines, l'avide quotidien. Et passent les jours et puis les semaines..." (Les gens qu'on aime, Patrick Fiori)

Appelez vos proches. Dites-leur que vous les aimez. Et même si c'est pas totalement vrai, dites leur quand même. Un kilomètre plus loin, il sera peut-être trop tard.

Et si ce sont des amis, dites-leur que vous les aimez aussi. Il n'y a pas de honte à dire à ses amis qu'on les aime quand c'est le cas. Imaginez vos retrouvailles, le jour où votre compteur affichera 22 222... mais ne négligez pas le kilomètre avant. Il faut tenir bon sur la distance à parcourir, et elle va sembler interminable.
J'espère que nous irons vers plus d'authenticité dans nos rapports humains. Et vers un monde différent sur des bases plus saines.
Je me sens prêt à aimer 75% de la population. Les 25% restant trop obnubilés par leurs préoccupations anti-vaccinales alors qu'on compte les morts dans le monde par centaines de milliers, je ne suis pas prêt. Ça viendra peut-être. Mais là, je suis un peu trop fatigué et sous pression pour y consacrer de l'énergie.

Je la réserve pour celles et ceux dont j'ai un besoin vital.

mardi 18 juin 2019

C'est ta chance


"Faut qu'j'travaille, mais je ne veux pas qu'on m'pousse non, non, j'sais ce que j'ai à faire" (Faut qu'j'travaille, Princesse Erika)
Est-ce que j'entre dans une période vieux con aigri (non, je le suis déjà) ou est-ce une simple réflexion ? On va dire que c'est juste un billet de blog "normal".
Avez-vous remarqué l'évolution hyper nombriliste et égocentrique du monde qui nous entoure ?
"Non mais MOI docteur, quand j'appelle, vous savez que c'est important" 
"Non mais je sais ce qui est bon pour moi alors faites ce que je dis" 
"Ça se passe mal à l'école mais c'est de la faute de l'enseignant/enseignante"
Autant de phrases entendues dans tellement d'occasions différentes. Seul point commun : "je" suis un être différent et exceptionnel et "Je" mérite à ce titre toute la considération du monde.
Et cela commence dès le plus jeune âge. L'enfant au centre de l'attention a été une réelle évolution dans le bien-être de nos chères petites têtes blondes... ou rousses ... ou brunes.
Mais l'être humain étant sans cesse dans l'excès, de l'enfant centre de l'attention, nos avons évolué vers l'enfant Roi, dictateur à qui on ne peut dire non.
Les publicitaires l'ont bien compris. Tantôt c'est l'enfant qui choisit le modèle de la nouvelle voiture, tantôt il est celui qui décide de ce qui se retrouvera dans l'assiette, voire il est celui qui ridiculise ses parents en les manipulant au petit déjeuner afin de pouvoir sortir alors qu'il en a été privé.
Le mouvement de balancier perpétuel. "Il est interdit d'interdire" a laissé la place à une société trop paternaliste qui elle-même laisse place à une société où refus et frustration ne sont pas autorisés.
Les enfants grandissent dans un environnent qui leur laisse croire qu'ils sont les meilleurs au monde. L'arrogance fait partie de leur disque dur. Et les médias en rajoutent à coups de téléréalité ou de talk-show jouant au concours de qui dénigrera le mieux l'autre.
Fini le goût de l'effort et de la récompense pour un long travail mené à bien. Il faut tout. Tout de suite. Et sans effort. Gagner 5000 € par mois en travaillant 20 heures par semaine, à des horaires choisis et surtout pas imposés.
La génération enfant roi migre vers une génération adulte roi...
Sauf que le monde du travail n'est pas comme cela actuellement. Est-ce qu'il va évoluer et s'adapter ou est-ce que ces jeunes adultes vont subir de plein fouet un retour brutal à la réalité ?


"Ceux que l'on met an monde ne nous appartiennent pas. C'est ce que l'on nous montre, et c'est ce que l'on croit. Ils ont une vie à vivre, on n'peut pas dessiner les chemins qu'ils vont suivre ils devront décider" (Ceux que l'on met au monde, Lynda Lemay)
Parfois je m'interroge. Sur la vie, en général, la mienne en particulier. Mais aussi souvent sur l'éducation transmise à mes enfants. Je pense être/avoir été un père à la fois sévère mais proche d'eux. J'aime quand ils me chambrent, et ils ne s'en privent pas.
Je suis fier des adultes qu'ils sont devenus ou deviennent mais me dis parfois qu'ils doivent passer pour des extraterrestres auprès de leurs camarades.
Ils travaillent, régulièrement, beaucoup, connaissent succès et échecs. Mais gardent ce goût du "j'y ai passé du temps mais j'ai réussi". De la à les qualifier d'inadaptés à la majorité du monde qui les entoure, il y a un pas que je ne peux (veux) franchir.
Est-ce que finalement ce ne serait pas une chance pour eux d'avoir eu des parents comme ils ont eu ? Est-ce qu'on ne les aurait pas mieux préparés au monde du travail, leur permettant ainsi d'obtenir plus facilement que d'autres le travail de leur choix, car ils ne reculeront pas devant l'effort pour y arriver ?

Ou est-ce simplement une façon de se rassurer quand on est parent, en se disant qu'on a fait ce qu'il fallait ?
Pire encore : ne serait-ce pas une façon de faire ce que je reprochais aux autres parents au début de ce billet ?

"C'est ta chance, ta force, ta dissonance. Faudra remplacer tous les "pas de chance" par de l'intelligence. C'est ta chance, pas le choix. C'est ta chance, ta source, ta dissidence. Toujours prouver deux fois plus que les autres assoupis d'évidence, ta puissance naîtra là" (C'est ta chance, Jean-Jacques Goldman)



Travaillez bien mes zèbres. Je suis fier de vous. Et pour le reste : bonne chance.

vendredi 26 avril 2019

Combien de temps

"Nants ingonyama bagithi baba. Sithi uhhmm ingonyama"
(L'histoire de la vie, Le Roi Lion)

Pas besoin de traduction, c'était juste pour vous mettre le début de cette chanson dans la tête.
Le jour se lève au début de ce film.
Comme tous les jours depuis le début de ce monde, et comme tous ceux à venir. Enfin, en principe. Depuis longtemps et pour longtemps. Et toujours sur un cycle de presque 24 heures.

Plusieurs mois que je ne suis pas venu faire un tour du côté de ce blog.
Dans le monde tel qu'il fonctionne actuellement, ça ne colle pas..
Tout doit être immédiat. Action. Réaction. Prise de décision. Action corrective. Action. Action. Action.

"Combien d'années pour élever un enfant ? Mais pour l'égorger c'est juste un instant.
Combien de rêves en route abandonnés, d' "automensonges" pour se contenter ?
Combien de verres pour que tombes ton masque, combien de faux adieux, de come-back ?
Combien d'échecs avant que l'on comprenne, et d'autos brûlées pour voter FN ?"
(Un goût sur tes lèvres, Jean-Jacques Goldman)

Une information chasse l'autre.
Un sentiment chasse l'autre.
Une vie chasse l'autre.
Quand a-t-on perdu l'envie de prendre le temps ?

Notre-Dame de Paris a été victime d'un incendie il y a une semaine.
Emoi dans les coeurs et dans les esprits, à juste titre.
Lundi soir, jour de l'incendie, les médias ne parlaient que de cela. Des réactions en pagaille, depuis les plus hauts responsables politiques jusqu'au quidam qui passait dans la rue.

48 heures plus tard, on n'en parlait déjà presque plus. Le monde zappe. Vite. Très vite.
Et le pouvoir en place de fixer des objectifs de reconstruction à 5 ans, pour s'inscrire encore plus dans cette dynamique, dans ce zapping.


"Tout ça ne tient pas debout, pas debout, on a tout, on étouffe, on doute de tout. 
On prend le temps, de temps en temps, mais le temps peu s'en faut, vient toujours tard et repart toujours trop tôt."
(Plus ça va, Michel Fugain)


Je pense souvent aux grandes découvertes de l'homme. Ou à des éléments du quotidien qui nous paraissent banals.
Je buvais un verre de vin il y a quelques jours (L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération etc...).
Le vin vient du raisin (enfin, peut-être pas le vin en bouteille en plastique, ça j'ai un doute).
Le raisin pousse sur la vigne. Une année pour qu'il pousse. Puis il faut en prendre soin pour qu'il puisse donner le vin qui sera vendu.
Mais le tout premier mec (ou la première fille, je ne voudrais pas qu'on m'accuse de sexisme) qui a eu l'idée de faire du vin, bah... il ne savait pas comment faire.
Et il a dû se planter. Mais, ça lui a pris un an pour changer un peu de technique.
Du temps.
Plein de temps.

Comme les haricots verts chez ma grand-mère. Ca prenait du temps. Plein de temps pour les préparer. Puis ils étaient mangés en deux minutes (ok, plutôt cinq, parce que quand on est enfant, on traîne aussi).
Ce temps est un luxe incroyable.
Mais on ne le prend plus.
Il faut aller vite.
Que ça bouge.
Guérir en une demi-journée d'un rhume.
Guérir en trois jours d'une dépression.
Faire une psychothérapie en une semaine.
Etre livré de ses achats dans l'heure.
Le temps devient même une forme de business : on vous fait payer cher le fait de ne pas pouvoir prendre votre temps.

On feint de ne pas se rendre compte que ce rythme effréné est ce qui nous stresse le plus.
Et je m'inclus volontiers dans le lot. Je ne suis pas d'une patience incroyable. Enfin pas toujours. Enfin, pas pour tout.

Aujourd'hui, il faut être performant. Ne plus avoir le droit à l'échec.
Faire plus avec moins.
Comme en médecine où on nous demande implicitement de passer moins de temps avec un patient pour en voir plus sur la journée.

Sauf qu'un patient a besoin de temps. Souvent.
Un de mes patients cette semaine est venu pour un épuisement professionnel. Presque devenu une banalité désormais.
Je demande souvent "et quand vous avez pris rendez-vous pour me voir, qu'est-ce que vous attendiez de moi comme solution ?".
Ce patient m'a dit qu'il s'attendait à des médicaments mais qu'il n'en avait pas envie.
Alors on a pris le temps de parler un peu. Plus d'une demi-heure. Et il est reparti en me disant "vous m'avez redonné un petit smile et franchement c'était pas gagné", mais ne prendra aucun médicament je pense.
Le même jour, j'ai passé une heure avec un autre patient, à peu près pour le même motif.
Oh, n'allez pas croire que je suis le meilleur médecin du monde qui passe plus d'une heure avec tous ses patients. J'ai surtout pu me permettre ce luxe de prendre du temps car l'interne qui travaillait avec moi ce jour-là a vu en parallèle d'autres patients en autonomie dans un autre bureau.

"Dis, au moins le sais-tu ? Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère, que tout le temps perdu ne se rattrape plus"
(Dis, quand reviendras-tu ? Barbara)

Il paraît que "le changement c'est maintenant" comme le disait le slogan.
C'est un mensonge éhonté. Le changement demande du temps. Beaucoup de temps. Et la société dans laquelle nous sommes nous oblige à croire que le bonheur réside dans l'action et l'optimisation du temps. Qu'il faut être heureux tout de suite, sinon, on a raté sa vie.

Quand on nous montre des seniors, ils sont forcément hyperactifs, croquant la vie à pleine dents (bien blanches et soignées), jamais malades, toujours de sortie...
Mais on ne les montre jamais prenant le temps de vivre tranquillement.
"Je suis à la retraite mais je ne reste pas sans rien faire !". Combien de fois j'ai entendu cette phrase. Et combien de fois je me suis demandé si le patient la prononçait en la pensant ou en tentant presque de se justifier d'occuper le temps sans laisser de vide, de peur qu'on ne le lui reproche.

La nature a horreur du vide paraît-il.
Mais il faudrait sans doute que l'on fasse un peu plus l'éloge du temps et prendre le temps de ne rien faire. Laisser les enfants s'ennuyer sans les abreuver de cinquante activités par semaine, juste parce qu'on ne veut pas qu'ils disent "je m'ennuie".

Ennuyez-vous. Prenez le temps. De tout faire. De ne rien faire. D'écrire, lire, chanter, jouer, bouger, dormir.
Prendre le temps d'écrire un billet de blog sur un petit temps libre. "J'ai du temps libre, mais je ne reste pas sans rien faire !"...

lundi 22 janvier 2018

Sois

"You gotta be bad, you gotta be bold, you gotta be wiser, you gotta be hard, you gotta be tough, you gotta be stronger, you gotta be cool, you gotta be calm" (You gotta be, Des'ree)
(Tu dois être méchant, tu dois être fort, tu dois avoir plus de sagesse, tu dois être dur, tu dois être costaud, tu dois être plus fort, tu dois être cool, tu dois être calme)

Il y a un moment où quelque chose a cloché, non ? Un moment où c'est parti en vrille dans le monde, mais on n'a pas fait attention. On s'est laissé déborder, ou on a fait semblant de ne pas voir ?

Le monde est rempli d'injonctions, tout le temps...

Faut être heureux, parce que. Ne pas l'être c'est ne pas être performant.
Faut être content, parce que.
Faut manger, parce que.
Faut dire merci, parce que.
Faut être serviable, parce que.
Faut être croyant, parce que.
Faut être bienveillant, parce que.
Faut aimer son travail, parce que.
Faut pas se plaindre, parce que.
Faut accepter qu'on vous donne des coups, parce que.
Faut refuser d'en donner, parce que.
Faut pas acheter ces produits, parce que.
Faut acheter ceux-là, parce que.
Faut pas faire confiance, parce que.
Faut faire confiance un peu quand même, parce que.
Faut pas trop consommer, parce que.
Faut consommer, parce que.
Faut faire du sport, parce que.
Faut pas trop en faire, parce que.
Faut pas regarder la télé, parce que.
Faut pas louper cette émission, parce que.
Faut lire beaucoup, parce que.
Faut pas rester sédentaire, parce que.
Faut faire des études, parce que.
Faut "me croire, je sais ce que je dis", parce que.
Faut "faire votre boulot, vous êtes payés pour ça", parce que.
Faut avoir une vie à côté du boulot, parce que.
Faut absolument terminer ce dossier avant ce soir, parce que.
Faut profiter du beau temps, parce que.
Faut pas trop s'exposer au soleil, parce que.
Faut être là pour ses amis, parce que.
Faut pas avoir trop d'amis, parce que.
Faut pas s'ouvrir trop aux autres, parce que.
Faut pas vivre en ermite, parce que.
Faut vivre avec son temps, parce que.
Faut pas être nostalgique, parce que.
Faut aller de l'avant, parce que.
Faut pas oublier le passé, parce que.
Faut connaître son histoire, parce que.
Faut savoir qui on est, parce que.
Faut un peu de folie et d'imprévu, parce que.
Faut être adulte à ton âge, parce que.
Faut pas trop boire, parce que.
Faut manger sainement, parce que.
Faut profiter de la vie, parce que.
Faut être poli, parce que.
Faut envoyer chier le monde quand ils t'embêtent, parce que.
Faut pas être galant, parce que.
Faut tenir la porte aux femmes, parce que.
Faut respecter les différences, parce que.
Faut admettre qu'on est tous pareils, parce que.
Faut faire du cas par cas, parce que...


Et au milieu de tout cela, il faut vivre aussi.

dimanche 17 septembre 2017

(In)déterminé

"Fatalité
Maîtresse de nos destins
Fatalité
Quand tu croises nos chemins
Fatalité
Qu'on soit prince ou moins que rien
Fatalité
Qu'on soit reine ou bien putain
Fatalité
Tu tiens nos vies dans ta main" (Fatalité, Comédie musicale Notre Dame de Paris)


Sommes-nous vraiment maîtres de nos vies ou suivons-nous un plan établi à l'avance ? J'avais déjà écrit après un cours que j'avais eu, au sujet de la science et son avancée qui nous permettrait un jour peut-être de prédire le monde qui nous entoure.
Savoir prédire le mouvement des électrons, des atomes, des molécules, leur interaction avec le monde environnant... beaucoup de mathématiques, de physique et de chimie pour nous permettre de mieux comprendre les choses.

Mais nous sommes nous aussi faits d'électrons, d'atomes et de molécules. Comprendre le fonctionnement de tout cela et leurs interactions permettrait-il de comprendre et prédire le fonctionnement de chaque être humain ?
Un peu comme une sorte de Minority Report où des êtres humains doués de précognition peuvent prédire et éviter les crimes. Sauf que là, la science sera source de précognition.

Oui mais si on peut prédire, c'est pour pouvoir empêcher certaines choses d'arriver, ou limiter certains effets nocifs. Mais l'être humain qui va tenter d'influer sur le cours du temps... il est fait aussi d'électrons, d'atomes et de molécules, non ? Donc son intervention pour modifier le cours des choses... elle est déjà écrite aussi, non ?

« Mais y a toujours la lune qui s'méfie du soleil, et quand tout ça changera, c'est pas demain la veille. Certains smatchent ou labourent, d'autres soignent ou bien peignent, c'est à toi, c'est ton tour, qu'est-ce que t'as dans les veines ? A quoi tu sers, pourquoi t'es fait ? Terminus : Terre, un seul ticket » (A quoi tu sers ?, Jean-Jacques Goldman)

Du coup, finalement, toutes ces fois où nous vivons une scène avec l'impression bizarre de l'avoir déjà vécue, la sensation de "déjà vu", cela ne serait qu'une espèce de diffusion d'un épisode de la série dont nous sommes le héros et dont nous portions déjà en nous la bande annonce ?

De même, les "cons", vous savez, ceux qui vous aboient dessus que vous parliez météo, politique ou loisirs, ceux qui savent tout sur tout, tout le temps, sur tous les sujets (comme la #TeamAirMédecine par exemple), en fait, ils exécutent juste le programme porté par leurs électrons, leurs atomes et leurs molécules... C'est presque comme si ce n'était pas de leur faute...

Les grands désastres de l'histoire sont donc juste le déroulement du scénario porté en nous toutes et tous. Quoi que l'on fasse, quoi que l'on dise, c'était prévu.
Mon code génétique et les électrons, les atomes et les molécules qui me composent avaient prévu que j'écrirais ces lignes à 12h50 après les avoir ruminées pendant des semaines... 
Si vous lisez ces lignes, c'était prévu aussi ? Le mal de crâne que vous aurez peut-être à la fin de ce billet ? Le fait de ne pas le lire en entier ?

Notre autonomie existe-t-elle finalement ?

"Life can get you down so I just numb the way it feels. I drown it with a drink and out-of-date prescription pills. All the ones who loved me, they just left me on the shelf. Farewell. So before I save someone else, I've got to save myself. And before I blame someone else, I've got to save myself"
(La vie peut vous déprimer alors je paralyse l'effet que cela fait. Je noie cela avec un verre et un médicament périmé. Et tous ceux qui m'aiment m'ont juste laissé sur l'étagère. Pas d'adieu. Alors avant de sauver quelqu'un d'autre, il faut que je me sauve moi. Et avant de blâmer quelqu'un d'autre, il faut que je me sauve moi. Et avant d'aimer quelqu'un d'autre, il faut que je m'aime moi" (Save myself, Ed Sheeran)

Jury de thèse il y a trois jours. Sur la prise en charge du syndrome dépressif en médecine générale. Le président du jury, un médecin psychiatre que j'apprécie beaucoup, a parlé de la dépression en distinguant bien la tristesse de la dépression. Que certains avaient beau tout avoir pour eux, ils pouvaient souffrir d'un syndrome dépressif. C'est écrit, c'est "endogène" c'est à dire, porté en nous par notre code génétique.
Comme d'autres maladies.
Comme certains traits de caractère "je ressemble à ma mère/mon père sur ce point" peuvent donc s'expliquer par "tu as le code génétique qui fait que tes électrons, tes atomes et tes molécules vont interagir de telle façon que tu auras telle ou telle réaction le moment venu".

Tout est donc figé.

La beauté de l'être humain serait alors de savoir se mentir en se disant que nous sommes maîtres de tout et que nous avons notre libre arbitre ?
Partir en guerre contre la nature serait donc peine perdue ?
Est-ce que c'est ce que comprennent les patients âgés que je soigne et qui ont souvent l'air apaisés malgré des vies pas forcément faciles ? Cette espèce d'acceptation est-elle écrite aussi dans le patrimoine génétique de ces patients ?

Et le fait de se poser toutes ces questions-là, c'est génétique et dû à la quarantaine ou ce sont mes électrons, mes atomes et mes molécules qui prennent un malin plaisir à interagir et amener ce résultat ?


Si j’avais pu choisir, j’aurais bien aimé les interactions qui permettent de dormir tard le week-end et évitent de prendre du poids facilement. Faut croire que c’est écrit aussi ?

jeudi 6 juillet 2017

L'ennemi du bien

"Ce serait bien que les médecins prennent le temps d'expliquer la vaccination et son intérêt aux patients"
"Ce serait mieux qu'on les rende obligatoire, comme ça, pas de discussion possible"

Sujet d'actualité brûlant en cet été 2017 : la vaccination.
Même si historiquement, la vaccination est un peu arrivée en forme de coup de poker de la part de Pasteur et consorts, son intérêt scientifique n'est plus à démontrer.
Si on raisonne en termes de santé publique (si on regarde à l'échelle de la population française toute entière), la vaccination protège de maladies graves et potentiellement mortelles au prix d'effets indésirables exceptionnels.
On appelle cela la "balance bénéfices-risques". Imaginez les vielles balances d'antan, comme celle que porte à bout de bras la justice. Mettez du poids très lourd sur le plateau des bénéfices et quelques grammes sur le plateau des risques : il faut donc vacciner.

Si vous êtes le parent d'un enfant qui va être confronté aux quelques grammes de risques, vous allez forcément trouver que les vaccins sont à bannir. Tout est une question d'angle de vue et de prisme. On ne peut raisonner pour une population entière à partir de quelques cas isolés, quels qu'ils soient, et même s'ils sont graves.

Un airbag peut se déclencher inopinément et blesser un passager d'une voiture. C'est rarissime mais ça peut arriver. Posez la question aux passagers de voitures accidentées sauvés par l'airbag, ils vous diront qu'ils sont indispensables.
Posez la question aux familles de conducteurs que l'airbag aurait pu sauver et ils vous diront "si seulement..."
Posez la question à celui qui aura été blessé par le déclenchement inopiné d'un airbag et il vous dira que c'est la pire invention du siècle.
Question de point de vue.


"Est-ce qu'on a vraiment tout fait quand on a fait de son mieux ? Qu'est-ce qu'il restera de tout ça dans un siècle ou deux ?" (Je laisse, Michel Fugain)


On peut essayer de "faire de la pédagogie" c'est-à-dire expliquer aux patients les pour, les contre, pourquoi la vaccination est importante, que le but n'est pas de vacciner contre toutes les maladies pour lesquelles existe un vaccin mais bien contre celles qui sont les plus présentes et les plus dangereuses. Il faut un peu de temps, bien entendu un peu d'argent aussi pour financer cela. Mais ce serait bien, non ?

Ou on peut faire mieux : pour sauver le soldat France, obliger à la vaccination "mais avec pédagogie". Je n'ai personnellement pas compris ce que cela pouvait bien vouloir dire. Bien sûr que ce serait mieux si toute la population était vaccinée ! Nous sauverions de nombreuses vies chaque année, éviterions certains drames dans des familles frappées par des maladies évitables. Ce serait mieux. Mais quel est le prix à payer pour le mieux ? J'ai peur que cette mesure autoritaire ne soit vécue par certains comme une atteinte à la liberté de choix et ne renforce la peur et la méfiance. Alors que, bien souvent, en discutant avec son généraliste, on arrive à la décision de vacciner en prenant le temps d'expliquer sereinement.


"Parfois on regarde les choses telles qu'elles sont en se demandant pourquoi. Parfois on les regarde telles qu'elles pourraient être en se disant pourquoi pas" (Il y a, Vanessa Paradis)


Dans la vie de tous les jours, nombreux sont les exemples. Vous réalisez une recette de cuisine. Elle n'est pas mal. Mais vous vous dites qu'elle serait mieux avec un peu plus de ci ou un peu moins de ça... et en fait c'est pire.
Vous travaillez sur un document informatique et vous voulez refaire une mise en page pour qu'elle soit mieux. Et là, rajouter un espace déstructure tout votre document et vous passez 3 heures à changer un détail que vous seul aviez vu... parce que cela allait être mieux.


"Non, je ne veux pas aller mieux. A quoi ça sert d'aller mieux ?" (Non, non, non (écouter Barbara), Camélia Jordana)


Parfois vous avez des amis qui ont une petite baisse de moral et vous essayez de les aider en leur donnant des conseils. Vous leur dites ce que vous pensez être le mieux pour eux, là où ils ont juste envie de se sentir bien.
En prodiguant vos conseils, vous devenez celui ou celle qui n'a rien compris et provoquez la colère de celui/celle que vous pensiez soutenir.


"Lucie, Lucie c'est moi, je sais, il y a des soirs comme ça où tout s'écroule autour de nous, sans trop savoir pourquoi. Toujours regarder devant soi sans jamais baisser les bras... je sais, c'est pas le remède à tout, mais faut se forcer parfois" (Lucie, Pascal Obispo)


Nous avons toutes et tous une connaissance ou quelqu'un dans l'entourage qui souffre de dépression. Combien de fois ces personnes ont dû entendre "c'est dans la tête" ou "allez, sois positif, dis-toi que ça va aller et ça ira".
Une patiente me le disait ce matin même "on me dit de me regarder dans la glace le matin et de dire que ça ira pour que cela aille... comme si c'était si facile".
Etre là pour des proches qui ne vont pas bien, les écouter c'est bien.
On aimerait les aider, les accompagner, les soutenir, pour qu'ils aillent mieux. En pensant faire pour le mieux, ne fait-on pas pire ?

Le mieux reste sans doute l'ennemi du bien.
Et petit à petit, chacun se forge son expérience et arrête de chercher à faire le mieux, par peur d'un retour de bâton. Mais à force de ne plus vouloir faire mieux, fait-on quand même bien ?
A force de ne plus vouloir viser les étoiles, finit on par ne regarder que le plancher des vaches ?
Ne plus faire mieux pour ne faire que bien, est-ce faire mal ?

"Pour triompher, le mal n'a besoin que de l'inaction des gens de bien" (Edmund Burke)

Ne cherchez pas, ce n'est pas tiré d'une chanson. J'aurais aimé en trouver une qui dise à peu près la même chose. Mais je n'ai pas trouvé. Ca aurait pourtant été mieux pour ce billet...

samedi 17 septembre 2016

Live and let die

"Si tu penses un peu comme moi, alors dis: "Halte à tout". Et maintenant, Papa, c'est quand qu'on va où?" (C'est quand qu'on va où ?,  Renaud)

Grande zébrette devait, il y a quelques jours, travailler sur un thème pour le lycée : 

"Quelle est la différence entre vivre et ne pas mourir".

Vaste sujet...
Parce que vivre c'est profiter de la vie au jour le jour. C'est le Carpe Diem dont j'ai déjà parlé ici.
Ne pas mourir, c'est se mettre devant l'échéance de la fin inéluctable que nous connaîtrons toutes et tous. C'est donc organiser sa vie en fonction de cet événement ultime en cherchant à l'éviter par tous les moyens.

Donc ce chemin vers la mort, nous l'empruntons toutes et tous. Reste à savoir si on marche en souriant ou en ayant d'autant plus peur que le nombre de pas augmente, puisqu'on ne sait pas quand arrivera la fin.

"Il y a ceux qui prendraient un avion, d'autres qui s'enfermeraient chez eux les yeux fermés. Toi, qu'est-ce que tu ferais ? Toi, qu'est-ce que tu ferais ? Il y en a qui voudrait revoir la mer, d'autres qui voudraient encore faire l'amour une dernière fois. Toi, tu ferais quoi ? Et toi, tu ferais quoi ?" (Mourir demain, Pascal Obispo)

Mardi matin (l'empereur, sa femme et le petit Prince), visites à domicile. J'aime bien les visites à domicile, surtout quand j'ai le temps. Le temps d'écouter et de laisser parler les patients.
Pour certains patients âgés et isolés, ma visite à domicile constitue une sorte d'événement de la journée, "LA" chose qui change de la routine et le fait de socialement voir quelqu'un pour parler un peu et rompre la solitude.

Cette patiente est charmante. Toujours un sourire, toujours une parole gentille alors qu'elle n'a pas une vie facile. Mais elle ne se plaint pas.
Je l'écoute. Je la regarde. Elle semble contente de pouvoir me parler de ses petits enfants.
A tous ceux qui seraient tentés de se dire "Ah ben tranquille le doc là, il va chez les gens, il les écoute parler de la pluie et du beau temps, et c'est 33 euros, par ici la monnaie", j'aimerais juste dire qu'ils doivent réfléchir un peu. Quand une patiente parle de ses petits enfants comme elle le fait, elle parle de sa fierté, ça lui fait du bien. Elle me dit implicitement qu'elle n'est pas seule et que d'autres veillent sur elle, surtout ces derniers jours où il a fait si chaud. Cela me permet de voir et jauger son moral. 

Bref, je la regarde et elle sourit. En une fraction de seconde, une étincelle en moi fige cette image et me dit "Il faudra que tu t'en souviennes".
M'en souvenir parce qu'un jour elle ne sera plus là. Parce qu'un jour son chemin s'arrêtera, parce que c'est la vie qui est comme ça.
Parce qu'un jour je repasserai devant sa maison mais elle ne l'habitera plus, comme je passe devant la maison de Jules que j'allais voir en général vers 11h. Il cuisinait encore lui-même tous ses plats. Ca sentait rudement bon chez lui. Et ça me rassurait de me dire qu'il gardait le goût de manger correctement (et ça me donnait faim aussi, j'avoue).

"Les copines, les tontons, tous ces anges à nous, nos divines affections. Qu'on est long, qu'on est long, à dire les je t'aime qu'on pense quand ils s'en vont. Où vont les gens qu'on aime quand ils s'en vont ? C'est pas vrai qu'ça s'arrête, ce s'rait trop con" (Où s'en vont ?, Michel Fugain)

Une des phrases quasi systématiques prononcées par les internes qui viennent en stage au cabinet est "Ca fait plaisir de voir des personnes âgées qui vont bien". Parce que d'habitude les personnes âgées qu'ils sont amenés à côtoyer sont plus souvent dépendantes, très altérées voire grabataires, dans les services hospitaliers.
Mais il y a une chose qui me marque encore plus : l'absence de peur de la mort. Ce n'est absolument pas une résignation fataliste. Loin de là, même.
Bien souvent, les patients âgés ont des phrases comme "Oh vous savez, j'ai fait mon temps, j'ai bien vécu" ou encore "Oh ben la faucheuse est déjà passée plusieurs fois, mais elle ne m'a pas bien fauché, je suis encore debout, faudra qu'elle repasse".

Ils ne sont pas inquiets. Je revois le sourire de ce patient qui m'avait dit cette dernière phrase il y a une semaine. Il m'avait bien fait rire par sa spontanéité. Je trouvais la formule tellement appropriée à son cas et tellement bien tournée.
Je suis peut-être passé pour un fou si on m'a vu lui chuchoter dans un léger sourire en forme de boutade complice "Finalement, elle est quand même repassée et vous l'avez laissée réussir cette fois" quand j'ai constaté son décès à domicile il y a 3 jours.

Je pense que les patients que je côtoie ont majoritairement choisi de vivre. C'est une formidable leçon d'optimisme que je me prends régulièrement en pleine figure. Ils ont choisi de se dire que ce qui arrive doit arriver et qu'on n'y peut rien changer, sauf à chercher à se battre contre des moulins à vent.

Un ami m'avait dit un jour "Tu n'arrêtes jamais une minute, tu es un peu hyperactif sur certains points... Tu caches une forme de peur de la mort, et tu cherches à te prouver que tu es vivant en multipliant les activités".
Je ne sais pas s'il a raison.
Je sais juste que chercher à ne pas mourir serait épuisant.
Je préfère vivre, pleinement, sans compter les heures, les jours, et en me laissant guider par la passion... et en épuisant sans doute un peu mon entourage parfois