mardi 18 juin 2019

C'est ta chance


"Faut qu'j'travaille, mais je ne veux pas qu'on m'pousse non, non, j'sais ce que j'ai à faire" (Faut qu'j'travaille, Princesse Erika)
Est-ce que j'entre dans une période vieux con aigri (non, je le suis déjà) ou est-ce une simple réflexion ? On va dire que c'est juste un billet de blog "normal".
Avez-vous remarqué l'évolution hyper nombriliste et égocentrique du monde qui nous entoure ?
"Non mais MOI docteur, quand j'appelle, vous savez que c'est important" 
"Non mais je sais ce qui est bon pour moi alors faites ce que je dis" 
"Ça se passe mal à l'école mais c'est de la faute de l'enseignant/enseignante"
Autant de phrases entendues dans tellement d'occasions différentes. Seul point commun : "je" suis un être différent et exceptionnel et "Je" mérite à ce titre toute la considération du monde.
Et cela commence dès le plus jeune âge. L'enfant au centre de l'attention a été une réelle évolution dans le bien-être de nos chères petites têtes blondes... ou rousses ... ou brunes.
Mais l'être humain étant sans cesse dans l'excès, de l'enfant centre de l'attention, nos avons évolué vers l'enfant Roi, dictateur à qui on ne peut dire non.
Les publicitaires l'ont bien compris. Tantôt c'est l'enfant qui choisit le modèle de la nouvelle voiture, tantôt il est celui qui décide de ce qui se retrouvera dans l'assiette, voire il est celui qui ridiculise ses parents en les manipulant au petit déjeuner afin de pouvoir sortir alors qu'il en a été privé.
Le mouvement de balancier perpétuel. "Il est interdit d'interdire" a laissé la place à une société trop paternaliste qui elle-même laisse place à une société où refus et frustration ne sont pas autorisés.
Les enfants grandissent dans un environnent qui leur laisse croire qu'ils sont les meilleurs au monde. L'arrogance fait partie de leur disque dur. Et les médias en rajoutent à coups de téléréalité ou de talk-show jouant au concours de qui dénigrera le mieux l'autre.
Fini le goût de l'effort et de la récompense pour un long travail mené à bien. Il faut tout. Tout de suite. Et sans effort. Gagner 5000 € par mois en travaillant 20 heures par semaine, à des horaires choisis et surtout pas imposés.
La génération enfant roi migre vers une génération adulte roi...
Sauf que le monde du travail n'est pas comme cela actuellement. Est-ce qu'il va évoluer et s'adapter ou est-ce que ces jeunes adultes vont subir de plein fouet un retour brutal à la réalité ?


"Ceux que l'on met an monde ne nous appartiennent pas. C'est ce que l'on nous montre, et c'est ce que l'on croit. Ils ont une vie à vivre, on n'peut pas dessiner les chemins qu'ils vont suivre ils devront décider" (Ceux que l'on met au monde, Lynda Lemay)
Parfois je m'interroge. Sur la vie, en général, la mienne en particulier. Mais aussi souvent sur l'éducation transmise à mes enfants. Je pense être/avoir été un père à la fois sévère mais proche d'eux. J'aime quand ils me chambrent, et ils ne s'en privent pas.
Je suis fier des adultes qu'ils sont devenus ou deviennent mais me dis parfois qu'ils doivent passer pour des extraterrestres auprès de leurs camarades.
Ils travaillent, régulièrement, beaucoup, connaissent succès et échecs. Mais gardent ce goût du "j'y ai passé du temps mais j'ai réussi". De la à les qualifier d'inadaptés à la majorité du monde qui les entoure, il y a un pas que je ne peux (veux) franchir.
Est-ce que finalement ce ne serait pas une chance pour eux d'avoir eu des parents comme ils ont eu ? Est-ce qu'on ne les aurait pas mieux préparés au monde du travail, leur permettant ainsi d'obtenir plus facilement que d'autres le travail de leur choix, car ils ne reculeront pas devant l'effort pour y arriver ?

Ou est-ce simplement une façon de se rassurer quand on est parent, en se disant qu'on a fait ce qu'il fallait ?
Pire encore : ne serait-ce pas une façon de faire ce que je reprochais aux autres parents au début de ce billet ?

"C'est ta chance, ta force, ta dissonance. Faudra remplacer tous les "pas de chance" par de l'intelligence. C'est ta chance, pas le choix. C'est ta chance, ta source, ta dissidence. Toujours prouver deux fois plus que les autres assoupis d'évidence, ta puissance naîtra là" (C'est ta chance, Jean-Jacques Goldman)



Travaillez bien mes zèbres. Je suis fier de vous. Et pour le reste : bonne chance.

vendredi 26 avril 2019

Combien de temps

"Nants ingonyama bagithi baba. Sithi uhhmm ingonyama"
(L'histoire de la vie, Le Roi Lion)

Pas besoin de traduction, c'était juste pour vous mettre le début de cette chanson dans la tête.
Le jour se lève au début de ce film.
Comme tous les jours depuis le début de ce monde, et comme tous ceux à venir. Enfin, en principe. Depuis longtemps et pour longtemps. Et toujours sur un cycle de presque 24 heures.

Plusieurs mois que je ne suis pas venu faire un tour du côté de ce blog.
Dans le monde tel qu'il fonctionne actuellement, ça ne colle pas..
Tout doit être immédiat. Action. Réaction. Prise de décision. Action corrective. Action. Action. Action.

"Combien d'années pour élever un enfant ? Mais pour l'égorger c'est juste un instant.
Combien de rêves en route abandonnés, d' "automensonges" pour se contenter ?
Combien de verres pour que tombes ton masque, combien de faux adieux, de come-back ?
Combien d'échecs avant que l'on comprenne, et d'autos brûlées pour voter FN ?"
(Un goût sur tes lèvres, Jean-Jacques Goldman)

Une information chasse l'autre.
Un sentiment chasse l'autre.
Une vie chasse l'autre.
Quand a-t-on perdu l'envie de prendre le temps ?

Notre-Dame de Paris a été victime d'un incendie il y a une semaine.
Emoi dans les coeurs et dans les esprits, à juste titre.
Lundi soir, jour de l'incendie, les médias ne parlaient que de cela. Des réactions en pagaille, depuis les plus hauts responsables politiques jusqu'au quidam qui passait dans la rue.

48 heures plus tard, on n'en parlait déjà presque plus. Le monde zappe. Vite. Très vite.
Et le pouvoir en place de fixer des objectifs de reconstruction à 5 ans, pour s'inscrire encore plus dans cette dynamique, dans ce zapping.


"Tout ça ne tient pas debout, pas debout, on a tout, on étouffe, on doute de tout. 
On prend le temps, de temps en temps, mais le temps peu s'en faut, vient toujours tard et repart toujours trop tôt."
(Plus ça va, Michel Fugain)


Je pense souvent aux grandes découvertes de l'homme. Ou à des éléments du quotidien qui nous paraissent banals.
Je buvais un verre de vin il y a quelques jours (L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération etc...).
Le vin vient du raisin (enfin, peut-être pas le vin en bouteille en plastique, ça j'ai un doute).
Le raisin pousse sur la vigne. Une année pour qu'il pousse. Puis il faut en prendre soin pour qu'il puisse donner le vin qui sera vendu.
Mais le tout premier mec (ou la première fille, je ne voudrais pas qu'on m'accuse de sexisme) qui a eu l'idée de faire du vin, bah... il ne savait pas comment faire.
Et il a dû se planter. Mais, ça lui a pris un an pour changer un peu de technique.
Du temps.
Plein de temps.

Comme les haricots verts chez ma grand-mère. Ca prenait du temps. Plein de temps pour les préparer. Puis ils étaient mangés en deux minutes (ok, plutôt cinq, parce que quand on est enfant, on traîne aussi).
Ce temps est un luxe incroyable.
Mais on ne le prend plus.
Il faut aller vite.
Que ça bouge.
Guérir en une demi-journée d'un rhume.
Guérir en trois jours d'une dépression.
Faire une psychothérapie en une semaine.
Etre livré de ses achats dans l'heure.
Le temps devient même une forme de business : on vous fait payer cher le fait de ne pas pouvoir prendre votre temps.

On feint de ne pas se rendre compte que ce rythme effréné est ce qui nous stresse le plus.
Et je m'inclus volontiers dans le lot. Je ne suis pas d'une patience incroyable. Enfin pas toujours. Enfin, pas pour tout.

Aujourd'hui, il faut être performant. Ne plus avoir le droit à l'échec.
Faire plus avec moins.
Comme en médecine où on nous demande implicitement de passer moins de temps avec un patient pour en voir plus sur la journée.

Sauf qu'un patient a besoin de temps. Souvent.
Un de mes patients cette semaine est venu pour un épuisement professionnel. Presque devenu une banalité désormais.
Je demande souvent "et quand vous avez pris rendez-vous pour me voir, qu'est-ce que vous attendiez de moi comme solution ?".
Ce patient m'a dit qu'il s'attendait à des médicaments mais qu'il n'en avait pas envie.
Alors on a pris le temps de parler un peu. Plus d'une demi-heure. Et il est reparti en me disant "vous m'avez redonné un petit smile et franchement c'était pas gagné", mais ne prendra aucun médicament je pense.
Le même jour, j'ai passé une heure avec un autre patient, à peu près pour le même motif.
Oh, n'allez pas croire que je suis le meilleur médecin du monde qui passe plus d'une heure avec tous ses patients. J'ai surtout pu me permettre ce luxe de prendre du temps car l'interne qui travaillait avec moi ce jour-là a vu en parallèle d'autres patients en autonomie dans un autre bureau.

"Dis, au moins le sais-tu ? Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère, que tout le temps perdu ne se rattrape plus"
(Dis, quand reviendras-tu ? Barbara)

Il paraît que "le changement c'est maintenant" comme le disait le slogan.
C'est un mensonge éhonté. Le changement demande du temps. Beaucoup de temps. Et la société dans laquelle nous sommes nous oblige à croire que le bonheur réside dans l'action et l'optimisation du temps. Qu'il faut être heureux tout de suite, sinon, on a raté sa vie.

Quand on nous montre des seniors, ils sont forcément hyperactifs, croquant la vie à pleine dents (bien blanches et soignées), jamais malades, toujours de sortie...
Mais on ne les montre jamais prenant le temps de vivre tranquillement.
"Je suis à la retraite mais je ne reste pas sans rien faire !". Combien de fois j'ai entendu cette phrase. Et combien de fois je me suis demandé si le patient la prononçait en la pensant ou en tentant presque de se justifier d'occuper le temps sans laisser de vide, de peur qu'on ne le lui reproche.

La nature a horreur du vide paraît-il.
Mais il faudrait sans doute que l'on fasse un peu plus l'éloge du temps et prendre le temps de ne rien faire. Laisser les enfants s'ennuyer sans les abreuver de cinquante activités par semaine, juste parce qu'on ne veut pas qu'ils disent "je m'ennuie".

Ennuyez-vous. Prenez le temps. De tout faire. De ne rien faire. D'écrire, lire, chanter, jouer, bouger, dormir.
Prendre le temps d'écrire un billet de blog sur un petit temps libre. "J'ai du temps libre, mais je ne reste pas sans rien faire !"...