vendredi 9 octobre 2020

Une goutte d'eau dans le désert

Depuis cette pandémie, j'écoute un peu moins souvent de musique. L'esprit trop préoccupé pour en profiter, écouter et entendre comme à mon habitude tous les instruments, toutes les nuances, toutes les voix présentes.

Aussi, parce que la musique est toujours autant quelque chose qui me touche profondément, même sans mot. Beaucoup d'émotions ressenties. Elle résonne. Trop parfois. 

J'en écoute moins. Cela ne veut pas dire que je n'en écoute plus du tout. Hier, en rentrant tard de la faculté, au hasard de ma playlist, Pascal Obispo est arrivé. Pas seul, accompagné de beaucoup d'artistes. Pour "Sa raison d'être". Une soignante qui travaille pour prendre en charge des patients atteint d'un virus non maîtrisé.

Je l'ai écoutée. Avec une autre oreille. Avec un autre regard.

« Elle en a vu de toutes les douleurs. En est revenue de tant de combats"

J'ai pensé aux collègues, hospitaliers. Toutes professions confondues, qui ont connu une période plus difficile encore que ce que l'on peut imaginer. A ne plus compter le nombre de patients. A enchaîner.

« Elle a tellement tendu son cœur, là où d'autres ont baissé les bras »

Prenez du recul. Ne vous investissez pas émotionnellement dans votre relation médecin patient. Ca c'est la théorie.
En pratique, on finit toujours par y laisser un peu de soi. Soigner, c'est faire preuve d'empathie. Plus ou moins importante selon les cas, selon les soignants. Beaucoup d'entre-nous y laissent des morceaux de leur être. Parce qu'on veut toujours tenter de venir en aide au plus grand nombre. Parce qu'on n'a pas choisi ce métier par hasard la plupart du temps.

Je me demande parfois si cette partie du métier est bien comprise par ceux qui ne l'exercent pas. Que nous allons accompagner, soigner et tenter de guérir. Mais être là.

« Elle dit qu'après certains regards, les mots deviennent dérisoires »

Un silence. Une compréhension des patients. Parfois quand ils sont proches de leur derniers instants. Leurs yeux parlent en silence.

Les regards des familles aussi. Souvent. Leur peine. Leur espoir. On lit comme dans des livres ouverts. On comprend. Sans un mot.

« On fait les choses parce qu'elles s'imposent, sans se demander »

Soigner parce qu'on doit. Parce qu'on ne se pose pas la question, puisqu'on a choisi ce métier. Nous ne sommes pas des héros ou des soldats. Pas besoin de médaille. Juste des soignants. 

Et parce que parfois, quand nous sommes submergés, nous agissons, sans réfléchir. Parce que si nous nous mettions à le faire, cela deviendrait peut-être trop difficile. Alors on fait. On encaisse. Et on y repense. Plus tard.

« C'est peut-être une goutte dans la mer. C'est peut-être une goutte d'eau dans le désert »

Ca change quoi au final ? Tous ceux d'entre-nous qui tentons d'avertir la population, de promouvoir la prévention dans le but d'avoir le moins de malades graves possible. Au final, est-ce peine perdue ? Est-ce que c'est vraiment utile, quand on voit que pour « une goutte », des torrents de désinformation et de contre-vérités sont déversés ?

« Oui mais c'est sa raison d'être. Sa raison d'être »

On a signé. On a choisi. Est-ce qu'on peut se plaindre ? Personne ne nous a forcés. C'est notre métier. 

Mode automatique enclenché. Quand c'est possible.

« Oh, elle en a essuyé des yeux, elle en a baissé des paupières »

La COVID a tué et tue encore. De tous âges. De tous antécédents. En nombre. Et je ne peux qu'imaginer les confrères de réanimation qui ont dû enchaîner les annonces aux familles. En tentant de tenir debout. En faisant attention aux mots prononcés car ils seront les seuls qu'une famille endeuillée retiendra. Mais qui a pris soin d'eux ?

Ils ont déployé de la bienveillance envers les malades, envers la famille. De l'empathie. Un peu d'eux, pour accompagner.

« Oubliant même que le ciel est bleu à tant se pencher dans la poussière »

Combien ont enchaîné les jours de travail. Les réunions d'organisation aussi. Dans une totale dévotion, en tentant de préserver leurs proches de cette maladie. Parfois même en ne les voyant pas ou peu, de peur de les contaminer, sachant combien ils allaient au charbon.

Pendant qu'une partie de la population vivait un confinement surprenant par sa soudaineté et le fait que leur travail était mis en pause, d'autres ont souffert en faisant le leur. Jusqu'à y laisser leur vie.

« Elle dit qu'on peut toujours trouver, des excuses pour ne pas bouger »

La peur. L'individualisme. La sidération... beaucoup de raisons de ne rien faire. 

On ne peut pas sauver le monde. On ne peut pas tout. Est-ce que cela veut dire qu'on ne peut rien ?

Nombre de soignants ne se sont même pas posé la question et sont allés faire leur métier.

« Elle, elle préfère encore se taire, et faire ce qu'elle a à faire »

Combien de soignants se sont plaints de la situation ? Beaucoup. Mais pas plaints de devoir travailler et faire ce pour quoi ils avaient été formés. Non, les soignants se sont plaints de ne pas pouvoir travailler correctement, pas de devoir travailler trop en cette période d'épidémie.

Mais beaucoup se sont tus. Et y sont allés. Sans masque. Sans blouse. Applaudis le plus souvent par une population qui tapait dans ses mains comme pour effrayer le virus et se dire qu'ils étaient bien vivants, plus que pour applaudir ces confrères qui travaillaient sans relâche.

« C'est peut-être une goutte dans la mer. C'est peut-être une goutte d'eau dans le désert. Oui mais c'est sa raison d'être. Sa raison d'être »

Recommencer. Encore. Et encore. Cernés par les rassuristes, les complotistes de tous bords et de tous horizons...

« Oh, elle en a brisé des silences, poussé des cris contre les murs »

En plein été, de nombreux collègues ont tenté de prévenir la population. De leur faire prendre des précautions pour éviter de voir la situation s'aggraver. Montrés du doigt comme alarmistes ou jusqu'au-boutistes. 

Et certains bien pensants de déclarer qu'il faut vivre, à fond, sans se préoccuper des autres. De Nicolas Bedos à Laurent Ruquier, de confrères qui lisent dans le marc de café à d'autres qui trouvent les trottinettes plus dangereuses... Il est interdit d'interdire. Il ne faut pas que les vieux et les fragiles m'empêchent de vivre comme j'ai envie.

« Avec pour échos l'indifférence et des rancunes encore plus dures »

Je ne compte plus les messages disant qu'on en faisait beaucoup pour une petite grippe. Que les masques c'était signe de soumission. 

Je ne compte plus les découragements à la pelle... même parmi les plus investis. Une forme de fatalité. Et d'enfermement des soignants. On leur imposé de soigner, d'éteindre un incendie fait à partir de braises sur lesquelles on continue de souffler.

L'investissement sans limite du printemps est devenu la norme. Si la deuxième vague arrive, ils devront refaire pareil. Sous peine de passer pour des lâches. Sans les applaudissements. Sans vacances. Sans repos. Sans leurs proches parfois. Sans l'insouciance dont font preuve les Jean Moulin anti masques et anti altruisme, les nombrilistes du monde d'après.

« Car aujourd'hui, si l'existence ici ne se limite qu'à la survie, il faut savoir qu'une aile de papillon peut tout changer pour de bon »

Il n'est jamais trop tard pour changer ou tenter de limiter les dégâts de ce virus aussi invisible qu'agressif pour ceux qui étaient déjà plus fragiles avant de croiser sa route.

« C'est peut-être une goutte dans la mer. C'est peut-être une goutte d'eau dans le désert. Oui mais c'est sa raison d'être. Sa raison d'être »

Jusqu'à quand ?

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