"Et j'ai trouvé dans mon carnet à spirales,
tout mon bonheur en lettre capitale à l'encre bleue aux vertus sympathiques
sous des collages à la gomme arabique" (Le carnet à spirale, William
Sheller)
26 décembre 2005.
Premier jour de travail pour moi. Rien que pour
moi.
J'avais bien travaillé seul depuis plusieurs
semaines. Après tout, j'avais fini mon internat au 1er novembre 2005 et j'étais
déjà thésé depuis juin 2004 et mon futur prédécesseur avait quitté le cabinet pour
commencer sa nouvelle carrière professionnelle.
Mais, lenteur administrative oblige, tout était
prêt pour le 26 décembre.
Plongeon dans le grand bain
Activité à plein régime dès le départ.
J'applique les règles que j'ai apprises en cours
(enfin, pour les quelques cours adaptés à mon métier que j'avais reçus à
l'époque), celles que j'ai apprises lors de mon stage chez le praticien aussi.
Je prescrivais des mucofluidifiants (pour les non
médecins, ce sont des médicaments inutiles), parfois du Maxilase (pareil) des
sirops (pas beaucoup mieux), du Tanakan (j'implore le pardon de mes amis
médecins)... et je recevais la visite médicale (et oui...)
"C'est à
peu près l'heure où ils éclairent les fontaines, où
je sors un peu pour prendre l'air, enfin où je traîne. J'essuie les regards de
tous ceux qui ne m'aiment pas trop et je comprends très bien tout ce qu'ils peuvent
dire derrière mon dos.
J'ai tant de
choses à me reprocher mais je n'y peux rien. A
franchement parler, ça ne me fait rien, je n'y peux rien." (A franchement
parler, William Sheller)
On m'avait
"élevé" dans l'idée qu'il y avait les généralistes d'un côté et les
spécialistes de l'autre. Qu'on travaillait un peu chacun de notre côté, que
c'était normal, le monde médical fonctionnait comme cela.
Et je m'en moquais un
peu.
Les patients, eux,
étaient dès le départ le centre de mon intérêt et ce que pouvaient penser de
moi les autres collègues m'importait beaucoup moins.
Je n'étais pas parfait
(je ne le suis toujours pas d'ailleurs, heureusement), mais j'essayais de faire
de mon mieux. En toute bonne foi.
Je participais à des
"soirées de formation" par l'industrie pharmaceutique. Le thème
annoncé était à chaque fois très sympa. Les intervenants prévus aussi. Mais, à
une exception près, j'ai toujours été déçu. Mon estomac était rempli, mais je
n'étais pas meilleur médecin.
Un soir, je suis allé
à une formation "un peu plus" indépendante (mais pas totalement, de
mémoire, il y avait quand même des stands de l'industrie dans le couloir) sur
la vaccination.
L'expert était un
médecin généraliste.
Un médecin
généraliste. Un généraliste ?? Pas un infectiologue, ou un pédiatre ? Mais
quelle drôle d'idée !
Et... le gars debout
en face de nous parlait du quotidien de mon métier. Très concrètement. La vaccination
que je faisais au cabinet. Pas la théorie de ce qu'on est censé faire dans le
monde de Oui-Oui.
J'ai adoré.
Je suis allé voir
l'intervenant à la fin. Il enseignait à la faculté.
Je lui ai demandé
comment faire pour les rejoindre, parce qu'enseigner m'intéressait. Cela m'a
toujours intéressé d'ailleurs (j'aurais choisi d'être prof de bio si je n'avais
pas eu ma première année).
Bref, il m'a dit
"Attention tu vas mettre le doigt dans l'engrenage, et tu ne pourras plus
faire machine arrière"
Nan, pas de souci...
je gère... (Là, vous pouvez éclater de rire. Et une fois que vous avez fini,
recommencez à rire en lisant la suite)
"Faut pas penser
à demain, faut pas dormir au hasard, et tu tiens. J'irai jusqu'au bout du
chemin et quand ce sera la nuit noire, je serai bien. Et je regarde ceux qui se
penchent aux fenêtres, j'me dis qu'il y en a parmi eux qui m'aimeraient
peut-être" (Oh ! J'cours tout seul, William Sheller)
Je suis allé à la fac
pour me former à la maîtrise de stage. C'était en 2008. Installé depuis 3 ans,
j'apprenais à recevoir des externes en stage.
Formation sans labo.
Super intéressante, même si quelques mots sortaient tout droit d'un
dictionnaire de pédagogues que je ne connaissais pas.
"- Et ça c'est le
paradigme d'apprentissage
- Le para... quoi
???"
J'ai rejoint le
collège des enseignants. Pareil, ils parlaient parfois une langue que je ne
connaissais pas, mais je me suis accroché.
Je faisais d'autres
choses, j'ai brisé une petite routine qui tendait à s'installer.
J'ai rencontré des
enseignants passionnants et passionnés.
J'ai rencontré des
étudiants tout aussi passionnants et j'ai gardé de très bons contacts avec
certains.
"Sous deux
semelles de gomme, il tire un jean étroit du bas, dans un blouson rouge-pomme,
deux contrebasses au bout des doigts. Il shoote dans des boites de bémols, il
se fout du style il n'a pas bien suivi l'école. Mais il plane comme un jumbo
entre les murs du son. C'est comme un labyrinthe autour de sa maison. On le
trouve un peu bizarre mais Symphoman est né d'un rêve oublié là, qui pétille à
mon oreille, tout comme les murs d'un verre de Mozart-soda" (Symphoman,
William Sheller)
J'ai commencé à
m'investir de plus en plus à la fac, dans l'enseignement. Moi qui ai longtemps
hésité à devenir prof de bio, j'étais comblé et le suis toujours par
l'enseignement. J'ai entamé une mutation. Je ne pouvais plus être le même médecin.
Mon emploi du temps
n'étant pas extensible, j'ai dû faire des choix pour maintenir mon équilibre,
le fameux trépied dont je parlais dans un de mes premiers billets sur ce blog.
L'un de ces choix a
été de diminuer un peu mon activité de soin.
Pour soigner mieux.
Enfin, je le pense. Prendre le temps d'expliquer. Passer de 4 rendez-vous par
heure à 3 pour ne pas être trop en retard.
Pour être un peu plus
investi à la faculté. Pour participer à la vie de l'université parce que je
suis persuadé que si l'on veut y obtenir une place, il faut la gagner à force
de travail.
Je sais que j'ai sans
doute bénéficié d'une forme d'effet d'aubaine. Je suis arrivé au bon moment
dans l'équipe et j'ai pu obtenir un poste.
Mais comme je ne veux
pas de cet effet d'aubaine, j'ai repris mes études aussi. Un master 1 l'année
dernière. Master 2 cette année et l'année prochaine.
Mériter cette place.
Mais être moins au
cabinet, c'est se le faire reprocher par certains patients. Non, non, je ne
suis pas en vacances quand je ne suis pas dans mon bureau, mais bien souvent,
je suis à la fac, je suis chez moi en train de bosser pour la fac... Ou je suis
en train de chanter parce que j'aime ça et que ça me fait penser à autre chose.
Et puis j'ai croisé la
route de Twittos, j'ai mis un tout petit orteil dans la sphère médiatique et
j'ai vraiment aimé cela : télé, radio...
Je suis passé pour un
mec un peu barge pour certains, à force de faire un peu de tout. A force d'être
heureux de tout aussi. A force d'être optimiste en tout et tout le temps. J'ai
aussi renvoyé une image du "mec qui fait plein de trucs et qui ne dit
jamais non".
Et je ne disais jamais
vraiment non. Au début.
"Encore
un jour tout seul où tout fout l'camp. Tu vois, j'n'ai jamais su tell'ment
parler aux gens. J'suis mal dans ma peau, j'ai un peu froid dans
l'dos. Lent'ment, douc'ment, je coule comme un bateau, j'suis un mauvais
capitaine, j'suis un mec qui traîne auquel on tourne le dos" (Simplement,
William Sheller)
"Je voulais juste
te dire qu'on est plusieurs à s'inquiéter pour toi. On te trouve un peu plus
triste, moins enjoué. T'es sûr que ça va ?"
Novembre 2015.
A trop charger la
barque, elle prend un peu l'eau.
Les évènements du 13
novembre ont mis à mal ma confiance en l'homme. La vie est si courte...
Je n'ai plus peur de
dire non, mais j'envoie un peu promener aussi. J'aimerais ne pas culpabiliser
de ne pas savoir tout faire et pourtant je ne peux m'en empêcher.
Alors je me raccroche
à des choses toutes simples : la famille, les amis, et j'apprends à être
égoïste et faire ce que j'ai envie de faire.
Je rate des réunions
où ma présence était requise parce que j'ai pris d'autres engagements. Avant
j'aurais fait mon possible pour faire les deux, quitte à dormir moins, quitte à
ne pas être raisonnable.
Je lisais ce matin le
billet de Docteurmilie "Burn out :
moi jamais".
J'avais commencé à
écrire ce billet samedi, en revenant d'une réunion à Paris. Je pensais bien le
finir en évoquant un peu cette période de novembre 2015 aujourd'hui derrière
moi (oui je rassure mes proches, je vais bien... Vous avez dû vous rendre compte
que c'était pas la grande forme, mais là je suis redevenu aussi hyperactif et
épuisant qu'avant, c'est un signe qui ne trompe pas !)
En lisant ce billet
d'Emilie, je me suis dit : bah dis donc... les plus optimistes ont aussi leurs
creux de vagues. On n'est pas des super héros finalement.
Et c'est mieux, nous
sommes humains.
"Quel que soit le
temps que ça prenne, quel que soit l'enjeu, je veux être un homme heureux"
(Un homme heureux, William Sheller)
Etre heureux ça se
décide aussi, au quotidien.
Comme en s'offrant, en
amoureux, un concert de William Sheller, extrêmement bien placé. Même si, pour
la peine, on rate une réunion un vendredi soir.
Parce que ça fait du
bien. Parce que c'est un musicien et un chanteur extraordinaire. Au moins aussi
extraordinaire que son humilité.
Parce que ça recharge
les batteries.
Parce ça donne aussi
des idées de billets de blog avec des chansons, pour une fois, d'un seul
interprète et tellement belles...
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