"Elle a éteint la lumière, et puis qu'est-ce qu'elle a bien pu faire, juste après ? Se balader, prendre l'air, oublier le sang, l'éther, c'était la nuit ou le jour ? Juste après ?" (Juste après, Jean-Jacques Goldman)
Une annonce de diagnostic (sans vouloir relancer la discussion du billet précédent), une annonce de mauvaise nouvelle...
Finalement cela revient au même coup de semonce pour le patient : "Je vous annonce que votre état de santé actuel va changer entièrement votre avenir".
On discute un peu encore, on répond à toutes les questions qui peuvent venir à l'esprit du patient, on "laisse la porte ouverte" c'est-à-dire qu'on peut fixer un autre rendez-vous pour celles qui viendront forcément ensuite, une fois la nouvelle digérée.
Et le patient s'en va.
Mais après, il se passe quoi ? Il se passe quoi et avec qui ? Le patient est seul ? Il s'entoure de sa famille, de ses amis, de ses proches pour digérer un peu mieux la mauvaise nouvelle ?
"This used to be my playground, this used to be my childhood dream. This used to be the place I rant to whenever I was in need of a friend. Why did it have to end" (This used to be my playground, Madonna)
(C'était mon aire de jeux, c'était mon rêve d'enfance. C'était l'endroit où je courais quand j'avais besoin d'un ami. Pourquoi cela a-t-il dû s'arrêter ?)
Il se raccroche à quoi le patient quand on lui annonce une pathologie chronique, ou pire encore ?
Je veux dire, cet évènement, ces paroles que l'on prononce un jour, en consultation, alors qu'il vient nous voir, nous, représentant de la science, garant du "savoir" ?
On apprend des mots, des façons de dire ces choses là pendant nos études. Quand on a un peu de chance et qu'on nous dispense ce cours là.
Et sinon ? On leur balance l'info et notre boulot s'arrête là, peu importe la suite ?
Mais, du coup, quand il s'agit de pathologies moins graves, anodines, banales... mais que les mots que nous employons sonnent "médicament" "soins" ... là où seul le temps est nécessaire : comment faire pour ne pas céder à la facilité de dire "prenez tant de gélule X et tant de Y, puis faites 3 prises de sang" parce que ça nous donne l'impression d'être scientifique, là où le scientifique justement devrait dire "Vous pouvez être rassuré, rien qui ne nécessite que vous vous inquiétiez, laissez faire le temps, vous verrez ça passera" ?
Quand on fait basculer le patient dans la surmédicalisation, volontairement ou non, par habitude ou non remise en question, que fait-il après ?
S'imagine-t-il atteint d'une pathologie si grave qu'il a dû prendre tous ces médicaments prescrits ?
Pense-t-il que désormais, tous ses maux devront se guérir à coups d'ordonnances sans fin ?
Quand les mots sortent de notre bouche de soignant, il se passe quoi, juste après ?
"Les frissons où l'amour et l'automne s'emmêlent, le noir où s'engloutissent notre foi, nos lois. Cette inquiétude sourde qui coule dans nos veines, qui nous saisit même après les plus grandes joies." (Veiller tard, Jean-Jacques Goldman)
Puis, le soir, quand nous quittons notre cabinet, il se passe quoi ? Il se passe quoi et avec qui ? Nous emportons un peu de la souffrance de l'autre, sans la vivre réellement. Sans la vivre physiquement.
Sans la vivre, vraiment ?
Bonjour,
RépondreSupprimerune réaction en tant que patiente ayant entendu plusieurs diagnostics sur des maladies chroniques - pas nécessairement très handicapantes, le pire ayant été endométriose et infertilité. Et aussi en tant que fille de patients, mère lourdement handicapée puis morte relativement jeune après plusieurs AVC, père décédé d'un cancer relativement jeune également.
Les médecins semblent souvent (en tout cas dans les blogs !) considérer la consultation d'annonce comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu pour le patient. Et ils semblent souvent, en conséquence, sentir peser sur leurs épaules toute la responsabilité de l'annonce.
Or il y a aussi tout un cheminement avant la consultation, des questions, des palpations, des googlages fous, des inquiétudes floues, des non-dits... Résultat, la consultation est déjà l'aboutissement d'un processus (tiens, qu'est-ce que j'ai ---> ais-je vraiment quelque chose, --> j'ai quelque chose, j'espère que ce ne sera rien --> oh là là et si c'était quelque chose ---> j'ai besoin de savoir --> consultation).
Avant la consultation, nous autres patients sommes seuls avec nous-mêmes ou avec nos proches, avec le flou du non-dit et une impossibilité de se projeter dans le futur.
La consultation peut alors devenir une libération, même avec une annonce désagréable voire catastrophique. Elle devient un point de départ vers autre chose, permet de s'organiser, de mettre en place des stratégies (de guérison, d'organisation, d'adieu).
Bien sûr, il faut un médecin idéal et un patient idéal, mais pour moi l'annonce des diagnostics d'infertilité a été un grand progrès par rapport à l'attente infinie d'avant, l'annonce du handicap de ma mère a été un point de départ concret pour l'administration, et une base pour la comprendre dans son nouvel état (aphasique, hémiplégique).
Et à l'opposé, je regretterai toujours de ne pas avoir su lire entre les lignes de ce que disaient les infirmières, et d'avoir cru le médecins qui annonçait à mon père qu'il se remettrait des suites de sa chimio de trop... Peut-être qu'alors il ne serait pas mort tout seul.
Et quand le motif est plus anodin... La consultation n'est pas non plus, nécessairement, une demande de soin. Je me retrouve souvent à consulter pour un diagnostic (je suis bien incapable, par exemple, de reconnaître une angine bactérienne dans la gorge de mes enfants!) et suis enchantée d'avoir trouvé un médecin qui m'annonce sans problème qu'il n'y aura pas d'ordonnance ce jour là!
Rappelez-vous donc, médecins, que vous n'êtes pas seuls face à nos maladies : nous sommes là aussi, et vous nous aidez à porter le fardeau.