samedi 13 septembre 2014

Dans le sens du vent

"Dès que le vent soufflera je repartira. Dès que les vents tourneront nous nous en allerons" (Dès que le vent soufflera, Renaud)

Se faire porter par le courant, au propre comme au figuré, c'est très agréable.
Au propre, c'est comme flâner sur un matelas gonflable au fil de l'eau, sous un ciel d'été, par une chaleur idéale.
Au figuré, c'est, à mon sens, être un courant d'idées partagé par tous.
On se sent moins seul, on pense comme beaucoup d'autres.

Alors, ce billet va donner un peu l'impression de cracher dans la soupe.
Je vais aller un peu à contre courant, sans doute.

"Et tant pis la foule gronde, si je tourne pas dans la ronde. Papa quand je s'rai grand, je sais c'que je veux faire : je veux être minoritaire. 
J'ai pas peur, j'ai pas peur, j'ai mon temps, mes heures, un cerveau, un ventre et un coeur. Et le droit à l'erreur" (Minoritaire, Jean-Jacques Goldman)

Bon, la foule, on n'ira quand même pas jusque là.
Mais quand même...
En ce moment, c'est la mode du "Président bashing". Qu'on soit d'accord ou pas avec sa politique, peu importe, la mode c'est de trouver tout ce qui est possible de trouver pour dénigrer.
Pas sûr qu'aux Etats-Unis, les opposants à Obama l'attaquent sur son physique, ses comportements... mais soit, c'est peut être là encore une exception culturelle française. Après tout, nos présidents ont tous été affublés de surnoms plus ou moins flatteurs, ça doit être habituel, mais j'ai du mal à participer à cela.
Juste par respect pour la fonction, et parce qu'à mon avis le débat doit se faire sur les idées et pas sur le physique ou la vie privée.
Pourtant, je me suis surpris à participer aussi à une part de lynchage du phobique administratif du moment (faut avouer que c'était tellement énorme cette histoire que ça s'y prêtait plutôt bien).

Et quel plaisir quand on voit que notre trait d'humour est diffusé et repris par d'autres. Ou retweeté pour ceux qui, comme moi, sont présents sur les réseaux sociaux.
Du coup, c'est bien, quand on sent le vent souffler, de trouver l'angle pour se mettre pile dans le sens du vent et se faire porter par le souffle collectif.
C'est grisant même.
C'est sans doute cela être populaire (peu importe l'échelle : populaire dans le quartier, dans la ville... ou plus loin encore).
Ca flatte beaucoup l'égo, et concrètement ça fait du bien.

Mais chez nous, on se flatte un peu trop l'égo en critiquant à tort et à travers. Nous sommes connus à travers le monde pour notre côté râleur. C'est dommage.
Il y avait eu une publicité que j'avais trouvée géniale à l'époque. Même si je n'écoute pas cette radio, je trouve qu'ils avaient visé très juste.

On veut que ça change, il faut que ça change ! Vite, y'en a marre. Mais par contre, faut pas changer ça, puis ça non plus on y tient, et puis ça, non c'est pas possible ou c'est la mort de notre métier...
Bref, faut qu'ça change... sans rien changer.
Quand on tient ce discours là, on est dans le sens du vent.

"Fais comme si j'avais pris la mer, j'ai sorti la grand voile et j'ai glissé sous le vent" (Sous le vent, Garou et Céline Dion)

Dans l'enseignement de la médecine générale aussi, on retrouve à peu de choses près les mêmes courants.
Il y a quelques jours, nous discutions dans un chat sur l'enseignement dans les études médicales (#MedEdFr). Est venue la question des "fameux" RSCA, ou Récits de Situation Complexes et Authentiques.
Ce sont des textes que les internes en médecine générale doivent écrire au cours de leur cursus, pour tenter de prendre du recul sur leur façon de soigner et se remettre en question.
A bien y regarder, certains billets de blog de mes collègues et amis sur la toile sont des RSCA grandeur nature !
L'effet de mode, c'est de dire que c'est nul un RSCA. Ouais quoi, c'est scolaire, on force les internes à les écrire. Ils ne sont plus en primaire et ils doivent faire des rédactions. C'est pas comme ça qu'on leur apprendra à soigner dans la vraie vie.
A condition d'être bien réalisé et bien accompagné par des enseignants de médecine générale (et ces conditions ne sont malheureusement pas toujours remplies), se remettre en question en se demandant si on a bien fait de soigner le patient comme ça, ou si notre façon de lui parler était la meilleure, et sur la foi de quels arguments scientifiques on dit ça, ce n'est pas apprendre à mieux soigner ?
Donc, oui, je trouve que les RSCA c'est pas si mal.
Mais c'est pas dans le sens du vent.

Autre discussion récente sur le fait que la médecine générale est une spécialité qui pose des diagnostics. Discussion sur Twitter avec des collègues et amis généralistes.
Etre dans le sens du vent, c'est dire que notre spécialité... euh... c'est déjà pas vraiment être dans le sens du vent que de dire que la médecine générale est une spécialité...
Bref, être dans le sens du vent, c'est dire que notre spécialité est vouée à disparaître, que les pouvoirs publics de tous bords veulent notre mort à tous, nous généralistes. Il faut que les choses changent, et vite, il faut réformer, changer le système.
Mais il ne faut pas changer notre façon d'exercer la médecine générale. Il faut que l'on puisse continuer à faire ce que nous faisons ou pensons faire (ça ne vous rappelle pas quelque chose ?).

Je suis parti du principe que nous diagnostiquons peu. En effet, nous nous basons sur beaucoup d'arguments quand un patient vient nous voir : des symptômes, la durée de ceux-ci, leur retentissement dans la vie de tous les jours, l'influence de certains traitements...
Tout cela nous amène à poser une hypothèse diagnostique, la plus probable compte tenus de tous les éléments à notre disposition.
Et plus de 8 fois sur 10, nous avons raison du premier coup. 80% d'hypothèses confirmées, c'est pas mal, non ?
Et bien, cette prise de position de ma part a été vécue comme une atteinte à la fonction de médecin généraliste.
J'ai visiblement blessé et attaqué mes amis et collègues dans leur représentation de notre beau métier, et l'ai condamné à disparaître puisque "nous ne diagnostiquons pas" et que de ce fait là, nous serons vite remplacés par d'autres métiers puisque nos compétences ne sont plus nécessaires. (Bisous en passant à @DrSelmer en espérant bientôt pouvoir discuter de cela autour d'une bonne bière belge).

Esprit de caste ou effet de mode, je me suis senti un peu seul dans cette discussion. C'est finalement pas très populaire d'avoir le vent de face. Puis ça chamboule un peu aussi. Ca déstabilise également.

"I'm your biggest fan, I'll follow you until you love me. Papa, paparazzi" (Paparazzi, Lady Gaga)

Mais du coup, ne faut-il intervenir que quand on est dans le sens du vent ? C'est donc un peu se renier, non ?
Faut-il être masochiste et prendre le vent de face, tout le temps ?
C'est un peu difficile de ne pas chercher à être populaire et dans le sens du vent sur les réseaux sociaux. Ou alors, il faut le faire juste avant "L'amour est dans le pré", pour que le vent vienne d'ailleurs rapidement, et qu'on oublie même que notre voilier était là... C'est ce qui m'a vraiment marqué après les dernières élections. Tout le monde était révolté le dimanche soir, le lundi matin... mais le lundi soir, le sujet le plus discuté concernait cette émission de la 6ème chaine...

"Non jamais je ne conteste, ni revendique ni ne proteste. Je ne sais faire qu'un seul geste, celui de retourner ma veste, de retourner ma veste, toujours du bon côté" (L'opportuniste, Jacques Dutronc)

Et vous ? Vous en pensez quoi ? Il va dans quel sens le vent ?


5 commentaires:

  1. Twitter n'est pas vraiment le bon endroit pour aller contre le vent ;-)
    Moi j'ai aimé écrire mes RSCA. C'était effectivement des prémices de billets de blog ;-) Mais j'ai pas aimée être évaluée la dessus, et qu'on me dise que c'était pas assez "médecine générale"

    Et sinon j'étais aussi d'accord avec Selmer, comme ça 1 point partout.

    Et aller dans le sens du vent... j'aime pas, surtout sur les réseaux sociaux, j'aime rarement le vent dans ces endroits là ;-)

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  2. Mon avis sur les questions que tu poses à la fin.

    - Je ne pense pas, c'est parfois faire preuve de tempérance et/ou de diplomatie que de se taire. L'important pour moi est de savoir ce qui meut mon sentiment et ce qui sous-tend à son maintien. Je peux me battre avec ou contre le vent, le temps ou les modes si je suis intimement persuadé d'avoir raison et que ce combat ne sera pas vain, mais je peux tout autant me résigner et accepter que jamais le monde ne changea et alors je peux me taire, sans me renier. La participation à la vie publique, l'échange, sont volontaires et aucunement contraints. Que chacun se sente libre de parler ou se taire mais que chacun accepte ce qui se dit, c'est ma vision des choses.

    - Non, je ne pense pas. C'est parfois du courage que de se lever et d’affronter le destin, les idées. Cela le devient quand la recherche de l'opposition s'accompagne d'une recherche du plaisir à se sentir isolé, maltraité et que cela influe sur la pensée même. C'est une chose que d'aimer souffrir, c’en est une autre que de savoir s'exposer pour des idées qu'on pense les bonnes.

    - je ne cherche pas la popularité, je ne travaille pas mon clientélisme 2.0, je n'ai pas cette appétence. Je ne sais donc pas te dire si c'est simple ou pas.

    - Je ne crois pas connaître le sens du vent, mais comme tu le fais de chansons, laisse moi donc glisser ici une maxime d'un de mes maîtres et qui dit "Il n'y a pas de vent favorable pour le bateau qui ne connaît pas son port.". Ainsi, si je ne sais pas forcément quel est le sens du vent , je ne m'en souci guère, la seule chose qui compte vraiment c'est autre chose, c'est ce qui concerne le voyage, la destination.

    Allez, haut les cœurs, Matthieu. Je comprends ton point de vue et tes batailles. Je ne partage pas tout d'elles mais je ne peux que te souhaiter de réussir un peu à faire bouger notre monde. Ta passion me fascine autant qu'elle m'échappe, tu es un bel esprit et j'aime le côtoyer.

    Avec mes amitiés.

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  3. Salut,
    Un peu de prévention : mon commentaire ne servira à rien, absolument à rien mais tant pis.
    1) Je viens de découvrir l'existence des RSCA. Jamais entendu parler de cette bête auparavant, ça m'attriste car ça veut dire que je prends vraiment de l'âge. A première vue, ça me semble pas mal, à condition comme tu l'écris que l'accompagnement adéquat soit prévu, mais dommage que ça ne traite que des situations "complexes".
    2) Pour le diag en méd gé, je suis entièrement d'accord avec toi, beaucoup d'hypothèses et peu de diag. C'est justement là la spécificité du métier de généraliste.
    3) Aller dans le sens du vent c'est rassurant et grisant, aller contre c'est déstabilisant et fatiguant mais au final il paraît que c'est toujours le Mistral gagnant ;-) Nan mais qu'est-ce que tu crois? T'es pas le seul à pouvoir placer des titres ou des paroles de chansons dans tes écrits ! Et tu vas voir, c'est pas fini...
    4) Bon et sinon, Twitter, perso je m'y prends tellement de ventS que je n'y prête pas trop attention. Pas toujours facile de faire passer le fond de sa pensée via ce réseau. J'en connais un qui dit qu'il suffira d'un signe, moi avec 140 j'y arrive rarement ;-)
    Bisous et bon vent.

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  4. Salut !

    Défendre un peu la présidence actuelle c'est un peu être contre le vent, je suis d'accord. Bon après, il n'a pas non plus tous les atouts de son côté... ;-) (autre débat). Ceci étant, j'ai l'impression que le vent tourne et que le bashing a atteint ses limites sur Twitter, avec une tendance au renversement... à voir.

    Pour l'histoire du diagnostic, je suis d'accord avec toi : nous ne posons pas souvent des diagnostics certains et nous faisons (presque) toujours des hypothèses diagnostiques hiérarchisées. 8 sur 10 ça me semble une bonne valeur.
    Sauf que c'est globalement le cas de tout le monde (sauf les anapath, médecins légistes et biologistes). Partout où je suis passé, j'ai vu des médecins qui doutaient ; à l'hôpital, le mode de raisonnement est le même (avec des examens paracliniques plus faciles qu'en MG - au lieu de notre surveillance -, vu qu'ils arrivent souvent en 2ème ligne).

    Pour la sémiologie, je maintiens que nous - internes sortants - sommes mal formés à la sémiologie. Pas par le DMG, mais par notre formation. Nous en avons étudié en P2-D1, puis nous l'avons appliquée pendant nos stages (vaguement parfois, c'est stage dépendant).
    En vrai, personne ne sait faire un examen rhumatologique, je suis une bille sur les reliefs des tympans, la moitié des médecins qui étaient à l'atelier "souffle cardiaque" à la journée de péd disait "euh les souffles si j'entends, je suis content et j'envoie au cardio", pour examiner une articulation aux urgences 9 internes sur 10 va la faire bouger dans tous les sens pour voir si c'est normal ou si ça fait mal...
    Bref, je n'appelle pas ça faire de la sémiologie fine. Contrairement à la plupart des autres spé, nous savons examiner à peu près tout, à tout âge : c'est bien, mais peu d'entre nous (internes sortants) sommes bons sémiologues. D'ailleurs, peut-être que j'en reparlerai au gentil MCA qui gère les enseignements quand je serai en poste... :D

    Par rapport à ce qu'on disait hier sur Twitter : être bon sémiologue, ça permettrait d'optimiser notre prise en charge pour le patient - surveillance plus précise, traitement plus adapté (on ne traite pas exactement pareil un lumbago et un syndrome du piriforme), moins de reconsultation si le diagnostic est précis/bien traité (l'exemple classique du protocole "antifongique - dermocorticoïde à J10" pour toute lésion dermato ^^).

    Et je vais aussi à contre-vent sur l'histoire de "la MG va disparaître". C'est un service de proximité irremplaçable pour encore de looooongues années. Le reste n'est qu'un mode de rémunération, et actuellement - sous réserve que je n'ai pas commencé bien sûr - je crois que les médecins ne sont pas à plaindre (bien sûr, on peut discuter longuement sur durée d'étude, service rendu, travail effectué, mauvais salaire horaire... je pense que ça dépend de la philosophie de vie et des projets/ambitions de chacun, que ce soit en médecine ou pour n'importe quel travail.)

    Bonne nuit maintenant !

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  5. Aller dans le sens du vent permet d'arriver surement, mais pas nécessairement là où l'on souhaitait. Remontons donc le vent et les courants.
    Les médecins généralistes ne font pas de diagnostic, c'est vrai ils émettent des hypothèses, mais en mois d'une minute et qui se confirme dans 80% des cas. Ce qui ne veut pas dire qu'ils commettent une erreur dans les 20 % des cas, simplement ils "corrigent" leur hypothèse par l'examen et l'entretien avec le patient.

    La sémiologie a disparu derrière les examens biologiques et d'imagerie, c'est aussi vrai, mais sans sémiologie l'examen est inopérant, n'apportant qu'une masse d'informations inutiles voir dangereuse, c'est un peu chercher les coordonnées d'un professionnel dans les pages jaunes en ne précisant ni la ville ni le nom.
    Le RSCA ne permet pas d'évaluer les compétences, c'est vrai, le RSCA permet une approche des compétences, mais seul est insuffisant à les évaluer. Pour autant il permet un éclairage sur le développement des compétences.
    Je ne peux m’empêcher de faire une explication de texte pour ASK. Toute situation de médecine générale est complexe. La complexité est définie par une situation mettant en jeu le médical, le psychologique et le social, et n'ayant pas de solution univoque. C'est l'exact contraire d'un cas clinique des ECN. C'est aussi la vie professionnelle quotidienne d'un médecin généraliste.

    La médecine générale est amenée à disparaître c'est aussi et encore vrai, dans sa forme actuelle, mais le médecin de premier recours capable d'intégrer l'histoire de vie d'un patient à ses symptômes, de détecter des maladies à un stade précoce, d'assurer un suivi, de coordonner les actions des autres intervenants at pas seulement des soignants, d'établir une relation avec son patient, de participer à la vie d'une communauté ou d'un territoire par son action sur la santé de la population continuera à exister ( et oui nous faisons quotidiennement tout ça)

    Affrontons maintenant les bourrasques de vents contraires
    La médecine générale libérale va disparaître, tant mieux, il est temps que ce reliquat de plus de 50 ans qui confond client et patient, qui produit un consumérisme par le paiement à l'acte évolue vers une organisation plus soucieuse des patients mais aussi de la société.
    Les RSCA obligent les internes à un travail de rédaction, heureusement. Le choix de former des médecins ayant juste la compétence d'appliquer des recettes apprises par cœur et s'adressant à un autre médecin dès que les symptômes ne permettent plus de faire "rentrer" le malade dans une case connue conduit à une inflation des dépenses de santé. Il produit aussi des médecins prescrivant un produit sur la base d'avis d'expert. Être médecin implique de réfléchir. Réfléchir à sa pratique, garder un esprit critique et vérifier les informations matraquées, réfléchir aux conséquences de ces choix pour le malade, mais aussi pour la société, et même pour soi-même.

    Allons plus loin déclenchons un ouragan indigné

    Les médecins sont des nantis, bien évidemment. Les revenus moyens d’un médecin généraliste en France sont de 5 fois le smic, et place les médecins généralistes dans les 10% de la population aux revenus les plus élevés.
    La médecine est une putain Son maquereau c'est l'pharmacien (oui moi aussi je cite des chansons) c’est encore une vérité. Etudiants formés à écouter la parole du maître qui s’appuie plus sur son expérience que sur les données validés, les médecins reproduisent se schéma avec l’industrie pharmaceutique qui les bernent allègrement.
    « Il y a deux choses d’infini au monde, l’univers et la bêtise humaine …….mais pour l’univers j’en suis pas très sur »
    Voilà de quoi déclencher une tempête du millénaire……………………………….dans un dé à coudre.
    Continue Matthieu

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