vendredi 20 septembre 2013

Médecin Généraliste : métier inutile ?

"Tourne la terre comme les hommes, à refaire encore les erreurs de nos pères. On mord toujours la même pomme, et le serpent danse alors que l'on s'enferme dans les erreurs d'hier" (J'accuse mon père, Mozart l'opéra Rock)


1958, en France, c'est l'année de la création des CHU (Centres Hospitalo Universitaires).
Une réforme d'envergure, sanctuarisant la médecine de spécialité.
Après 6 ans d'études, vous devenez médecin généraliste. Si vous continuez, si vous en avez les capacités intellectuelles, vous devenez alors médecin spécialiste au prix de quelques années d'études supplémentaires.

Le décor est planté.
Il y a les vrais médecins. Et les autres. Ceux qui ne seront que généralistes.
Peu importe s'ils sont ceux que les patients côtoient le plus souvent. Ils ne soignent rien d'important, ni d'intéressant de toute façon.
Aux généralistes la bobologie, et aux spécialistes la médecine noble.

La formation des médecins se passe à l'hôpital.
Les généralistes se forment... sur le dos des patients. Ils apprennent sur le tas. Et Dieu merci, les patients sont plutôt en bonne santé et résistants, alors ils supportent ce manque d'expérience.


"Je le savais, je le sentais, que tu n'étais pas l'homme de la situation" (L'homme de la situation, Amandine Bourgeois)

Les médecins généralistes ne sont pas très utiles finalement. Après tout ils n'avaient qu'à mieux travailler, c'est de leur faute. Faut donc pas s'étonner s'ils ne sont là que pour trier les patients.
Un problème cardiologique et le patient devra aller voir le cardiologue. Un problème dermatologique et le patient devra aller voir le dermatologue...
La médecine générale n'a pas de savoir propre. Elle n'est que la somme des savoirs des spécialités nobles. Quand un généraliste soigne un patient pour une hypertension, c'est qu'il a été formé par un cardiologue qui lui a appris comment faire pour soigner une poussée hypertensive au cours d'un stage hospitalier, au lit du malade, dans le service de cardiologie hyperspécialisé du CHU.

...
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Mais alors, si je comprends bien, s'il n'y a pas de savoir propre à la médecine générale, pourquoi diable s'entêter à garder ce métier ?
Il suffit de mettre en face des patients un infectiologue lors des épidémies virales, un cardiologue pour les problèmes de cœur, un néphrologue pour les problèmes de rein...
Chacun d'entre eux ne se cantonnant qu'à son pré carré et renvoyant vers un confrère tout ce qui n'est pas de son domaine de compétence.

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"Fermati un istante parla chiaro come non hai fatto mai dimmi un po' chi sei" (Una storia importante, Eros Ramazotti)
(Arrête-toi un instant, parle-moi clairement comme jamais tu ne l'as fait. Dis-moi qui tu es)


2004 : Naissance de la Spécialité Médecine Générale au sein d'un DES (Diplôme d'Etudes Spécialisées).
Il n'y a donc plus désormais que des médecins spécialistes.
Mais ??
Mais ??
Pourquoi diable avoir donné un peu plus de poids à un métier qui n'est pas utile ?

Il semblerait qu'au fin fond de certains pays lointains et barbares, appelés pays scandinaves, les pouvoirs publics aient développé une médecine dite de soins primaires, dans laquelle on retrouve la médecine générale, et que dans ces contrées infâmes les indicateurs de santé de la population sont meilleurs que chez nous. 

Et en plus, ils consacrent moins d'argent que nous pour leur santé, ces fameux "points de PIB" dont l'actualité est friande. Ils dépensent moins et leur population est en meilleure santé.



Attendez, je la réécris au cas où vous auriez sauté une ligne :


Ils dépensent moins pour la santé et sont en meilleure santé.



Pas moins bien soignés. Non non ! Si vous devez vous faire opérer avec une chirurgie de pointe, vous l'êtes. Mais d'où viennent ces économies dans ce cas ?
Leur réseau, notamment de médecins généralistes, est mieux formé, mieux utilisé. Plus efficient pour utiliser le terme à la mode. Ils ont augmenté la recherche en médecine générale, faite par les médecins généralistes. Et les futurs généralistes sont formés eux-mêmes par des enseignants de médecine générale.

La recherche en médecine générale ?? Avouez, vous avez eu, l'espace d'un instant, une vision d'un gars en blouse blanche qui triture des tubes à essai et des boîtes de culture.
Oubliez cela tout de suite.

La recherche en médecine générale, c'est d'abord une recherche qui porte sur les patients en médecine générale.
Par exemple, la façon de soigner un patient diabétique à l'hôpital, où tout est contrôlé depuis le plateau repas jusqu'au traitement, peut-elle être la même qu'à domicile ?

Y a-t-il des façons de prévenir, dépister ou soigner qui marcheraient mieux en ville qu'à l'hôpital (là où sont faites toutes les recherches actuellement et qui servent de base pour recommander aux généralistes la façon de soigner les patients... en ville...)


"Mes frères tombaient l'un après l'autre devant mon regard, sous le poids des armes que possédaient tous ces barbares" (La tribu de Dana, Manau)


Ah ces pays barbares sous-développés. Ils ne savent sans doute pas que tout se joue toujours au sein d'un grand centre hospitalier. De la naissance à la mort et peu importe la pathologie.
Quoique... le nombre de lits étant ce qu'il est, il faut quand même reconnaître qu'avoir des travailleurs besogneux en ville pour faire les fameux petits bobos, ça aide.

Mais, vous qui lirez ces lignes, qu'en pensez-vous ?
Une étude a montré que lorsqu'un patient se rend chez son généraliste, il a au moins deux motifs de consultation (entendez, il vient au minimum, en moyenne, pour deux problèmes distincts qu'il souhaite aborder).

La SFMG fait annuellement un état des lieux des motifs de consultation (c'est-à-dire regarde pour quoi les patients viennent le plus souvent voir leur MG). Les cinq premiers motifs sont : 

1) Examens systématiques et de prévention
2) Etat fébrile (peu importe la cause)
3) Rhinopharyngite - Rhume
4) HTA
5) Hyperlipidémie

Heureusement, bien entendu, pour chacun de ces motifs, le médecin généraliste ne décide jamais seul et en réfère systématiquement à un confrère d'une autre spécialité.

Ou pas...

Et c'est souvent pas d'ailleurs.

Parce que le généraliste soigne 90% des HTA (HyperTension Artérielle) sans avoir "besoin" d'appeler un confrère cardiologue.
Par contre, c'est vrai, le cardiologue pose des stents, pas le généraliste.
Mais le cardiologue ne gère pas l'HTA, le problème de thyroïde, le diabète et l'insuffisance rénale au cours d'une même consultation. Ce n'est pas un reproche. Ce n'est juste pas son métier.
C'est le métier du généraliste ça.

Gérer tous les problèmes de santé aigüs ou chroniques au cours de la même consultation, mais je dis OUF !
HEUREUSEMENT que les généralistes sont les moins bons de tous les médecins. 
HEUREUSEMENT qu'ils ont moins réussi que les autres, sinon, imaginez, les pauvres, ils ne devraient se cantonner qu'à une seule partie des patients !


"Venez voir mourir le dernier sex-symbol. Venez voir, venez rire à la fin d'une idole" (Les adieux d'un sex-symbol, Starmania)


Le généraliste est le pivot du système de santé bla... bla... bla... le généraliste rôle central bla... bla... bla... le généraliste professionnel le plus apprécié de la population bla... bla... bla...

Se faire brosser dans le sens du poil n'a qu'un objectif : nous attendrir pour nous endormir.
La mort de notre métier est programmée dans l'indifférence la plus totale.

Pourtant, je ne fais pas de corporatisme. Je n'arrête pas de dire aux internes de médecine générale à qui je donne des cours que notre spécialité est une spécialité comme une autre. Pas meilleure, pas pire, mais une vraie spécialité.
J'attends juste le même respect et la même considération de la part des autres spécialités.

Et ce qui me rassure, c'est que nous, les généralistes entretenons d'excellents rapports avec les confrères des autres spécialités.
Mais il existe toujours un camp d'irréductibles post "cinquante-huitards" et ils sont majoritairement aux commandes et aux postes décisionnaires.


"Il suffira d'un signe, un matin. Un matin tout tranquille et serein. Quelque chose d'infime, c'est certain. C'est écrit dans nos livres en latin" (Il suffira d'un signe, Jean-Jacques Goldman)


Un lundi matin. Le 23 septembre 2013.

Par contre, si le signe est infime, il décevra. Et au-delà de décevoir, il suscitera une vague d'exaspération que je sens grandissante.

Dans l'un de mes tous premiers billets, j'avais paraphrasé (maladroitement) Alain Peyrefitte en disant : "Le jour où les généralistes s'éveilleront" le monde de la santé tremblera...
Ils s'éveillent. En finissent une fois pour toute avec leur complexe d'infériorité.


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