mercredi 15 août 2012

Cultivez votre jardin

"Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices !  Suspendez votre cours" (Alphonse de Lamartine)

Nous sommes tous pressés. Par le temps, par l'envie...
Pressés d'atteindre un but, ou tout simplement impatients.

Dans notre société dite "de consommation" tout nous y pousse.
Tout comme la mort est devenue le grand tabou voire l'interdit de nos sociétés occidentales, l'attente lui emboîte le pas.

"Comment ?! Attendre demain pour un rendez-vous ? Mais je VEUX être reçu aujourd'hui !"

"Docteur, je suis malade depuis ce matin, mais vous DEVEZ me remettre sur pieds pour demain !"

Cette impatience, subjectivement légitime quoiqu'elle ne le soit que rarement objectivement parlant, est auto-entretenue notamment par la sphère médiatique.

Elle me fait peur, j'avoue.
Peur parce qu'à mon avis, elle n'a pas encore atteint son apogée. Le pire est devant nous.
"Commandez votre article sur internet et recevez-le dans la journée" va être le futur leitmotiv du e-commerce...
Ce n'est pas tant le fait de commander et de pouvoir profiter immédiatement du bien qui me fait peur. Je pourrais presque trouver cela intéressant..

Non, ce qui me fait peur, c'est la transposition de ce principe de commerce, discutable mais qui peut trouver justification, à notre pratique médicale.

Parce que, les patients, à force d'entendre qu'ils peuvent ne plus attendre, vont avoir de plus en plus de mal à accepter nos demandes répétées de laisser du temps au temps.

Un rhume soigné guérit en 7 jours. Un rhume non soigné en une semaine...
Tout comme une infection virale respiratoire peut entraîner une toux pendant 3 semaines, sans que celle-ci soit pathologique. La toux sera d'abord sèche, puis très grasse, puis sèche puis disparaîtra... jusqu'à l'infection suivante.
De même, un enfant en bas âge risquera de faire 7 à 8 épisodes infectieux ORL par an, tous concentrés entre l'automne et le printemps.
Autant dire que certains enfants peuvent être "tout le temps" malades, sans que cela ne soit franchement pathologique.
Et tout comme les patients finissent par ne plus trouver normal d'attendre, ils ne trouvent plus normal d'être malades. Ils ont tous leurs raisons. Et je connais personne qui soit content d'être malade finalement...

 Alors, aux patients non patients, je parle de jardinage.
La première réaction est toujours la même : Mais qu'est-ce qu'il me raconte le docteur ?!?
Et bien je leur raconte l'histoire de mes fleurs ou mes légumes. Comment je sème les graines, attends qu'elles germent.
Comment parfois le germe est fragile et finit par mourir.
Je leur raconte aussi que j'ai beau leur répéter de se dépêcher, de pousser plus vite, parce que je suis pressé, mes cultures n'en font qu'à leur tête. Elles n'écoutent qu'une seule personne : la nature.
Je leur parle aussi de certaines promenades en forêt, au contact plus étroit de cette nature. Ces moments où j'ai l'impression qu'elle me donne une leçon d'humilité en me disant :
"Je ne t'ai pas attendu pour faire tout cela, et tu seras déjà six pieds sous terre depuis un moment que je n'aurai pas encore fini mon ouvrage".

Alors, j'espère faire comprendre à mes patients qu'il faut savoir attendre, que la nature prend son temps.
Qu'il est normal que nous tombions tous malades. Que mon rôle de médecin est de les soigner aussi bien que possible, mais que je ne possède pas de baguette magique.
Je ne pourrai pas aller contre-nature. Les soigner prendra un temps plus ou moins long selon la pathologie.
Et ce temps doit être un allié précieux plutôt qu'un adversaire.

1 commentaire:

  1. Génial ! Je ne me suis mise au jardinage que très récemment (je VEUX m'y intéresser, car d'habitude je n'ai pas du tout du tout la main verte), je vais commencer à en parler aux patients alors ! :)
    Après leur première réaction, quelle est la 2e ? :)

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