vendredi 13 juillet 2012

Généralologue

"Ne vous contentez pas de la médiocrité" (Bernard Théry, Professeur de français de mon lycée à Roubaix, sur mon bulletin en première)

Cette phrase, simple, a été un véritable électrochoc pour moi.
Je suis d'avance désolé si la suite de ce billet peut paraître prétentieuse alors que ce n'est pas du tout le but. J'ai juste besoin ce soir de dire ce que j'ai sur le cœur après ce que j'ai entendu aujourd'hui.

J'étais bon élève. Très bon élève même. Petite baisse de régime ce trimestre là... je me laissais porter par les flots...
J'avais une bonne moyenne, très bonne même, mais j'ai quand même hérité de cette appréciation.

J'ai été un peu vexé de la voir sur ce bulletin.
Sans doute parce qu'elle avait été écrite par un prof que j'admirais, et que j'avais déjà eu en seconde...
Mais surtout parce ce que je savais pertinemment qu'il avait raison.

Un électrochoc.
Je me la suis répétée sans cesse depuis. Elle a motivé le reste de ma scolarité.
Je suppose que je lui dois ma mention "Très bien" au bac.

D'accord, elle ne m'a pas empêché de repiquer ma première année de médecine. Même si la sélection avait été très rude.
J'ai travaillé encore plus dur l'année suivante. Je ne me suis pas contenté de la médiocrité, et j'ai réussi.

J'ai poursuivi mes études. Excellentes notes en stage (major ex-æquo pour la moyenne des stages de 2è cycle), notes plutôt dans la moyenne pour les examens écrits. J'ai toujours eu du mal avec les cours catalogues.
Je me suis même inscrit à un certificat d'Immunologie puisque j'adorais ça, et que le responsable nous disait "pour vous inscrire ici, vous devez réfléchir. Si vous savez retenir une information que l'on trouve facilement dans un livre, cela ne m'intéresse pas".
Bon, le truc un peu discordant, c'est que finalement, je n'avais pas le droit de m'y inscrire, vu qu'en biochimie, j'avais en dessous de la moyenne en P2.
Je voulais faire médecine générale, je le savais, et comme je ne voyais pas à quoi cela me servirait de retenir la biochimie et bien... j'avais du mal à la retenir complètement.

Toutefois, en insistant lourdement auprès du grand Professeur, il avait fini par nous accepter pour le certificat (je dis "nous" parce que nous étions 3 dans ce cas là) en nous disant "Ne me le faites pas regretter".

Résultat : major ex-æquo pour ce certificat à égalité avec l'une des deux autres repêchées à l'inscription.

Quand est arrivée l'heure de passer l'internat, je n'y ai vu aucune utilité. Je voulais faire Médecine générale. Pourquoi apprendre des cours catalogues qui ne me serviraient pas ?
Je ne l'ai donc pas fait.
Je prenais des gardes dans une pouponnière, et pendant mes gardes, je me préparais des choses qui, je l'espérais, me serviraient quand je serai généraliste. J'utilise encore certaines d'entre elles aujourd'hui.


"Tu es trop bon pour finir généraliste. Ne gâche pas ton talent"

Je l'ai entendue plusieurs fois cette phrase là. Je suppose qu'on me disait cela pour me faire plaisir, une sorte de façon de me flatter en me disant que j'étais "intelligent" et que je pouvais "réussir".
En même temps, les mecs "intelligents" ça retient les cours de biochimie, non ?

"Ne vous contentez pas de la médiocrité"

Je voulais être généraliste.
Je n'ai jamais regretté ce choix.
Pour moi, être généraliste c'était la seule façon de ne pas me cantonner dans une sur-spécialisation. Etre le grand spécialiste de la maladie de Crohn, très peu pour moi. Je suis très content qu'il y en ait que cela passionne.
Je ne suis pas de ceux là.

Du coup, choisir la médecine générale, c'était aussi une façon me semblait-il de ne pas me contenter de la médiocrité. J'allais devoir être bon. Et être bon dans beaucoup de domaines.
Challenge accepté.

Je croyais alors que je n'allais pas être spécialiste, puisque la fac nous faisait comprendre qu'en dehors de l'internat, point de salut et que la spécialité n'existerait que deux ans plus tard. Alors imaginez... je n'ai même pas passé le concours, c'est dire...
Je croyais également que je n'allais pas faire de recherche, et que je ne serais pas enseignant (parce qu'enseigner j'adorais ça, si j'avais échoué en P1 j'aurais choisi cette carrière, mais bon, les enseignants de médecine générale étaient quasi inexistants à ce moment là).
Et comme choisir c'est renoncer, j'avais choisi d'être généraliste, et je croyais renoncer à tout cela.
Je devenais Interne en Médecine Générale.

Je suis devenu Médecin Généraliste, et je mets volontairement des majuscules.
Je ne suis pas le meilleur. Ce n'est pas l'un de mes objectifs.
Je repense seulement en permanence au fait de ne pas me contenter de la médiocrité. J'essaye de me remettre en cause, de ne rien considérer comme acquis. J'essaye de progresser. J'espère y arriver.

Alors, quand j'entends dire que je ne suis qu'un médecin "aiguilleur", que je sais peu de choses sur un petit peu tout alors que les grands spécialistes savent beaucoup de choses sur un domaine très pointu; quand j'entends comme aujourd'hui, dire à la télévision que je suis un bobologue... c'est comme si on piétinait une des phrases qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui.

C'est comme si on disait que ce professeur de français que je ne remercierai jamais assez, avait eu tort de croire en moi et de me dire cette fameuse phrase. Tort de croire en moi à un moment où je n'y croyais pas forcément moi-même.

Alors, je n'ai pas une spécialité qui finit en -ologue. Mais je suis le médecin de l'être humain dans sa globalité, excusez du peu.
Et j'en suis fier.

6 commentaires:

  1. Depuis quelques années que j'entends parler de ce sujet, je crois réaliser quelque chose maintenant. Les médecins généralistes (les minuscules ne sont pas une dévalorisation) ont peu de moyens, de latitude... mais ils ne sont pas mal considérés par les "gens". J'ai l'impression que cette querelle ne vient que du milieu médical, et que les patients sont contents de "leur" médecin. Il y en a des mauvais, bien sûr mais pas plus que dans d'autres disciplines.

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  2. Oui je suis un peu d'accord avec Minium...
    Moi aussi ces phrases m'énervent, moi aussi je regarde parfois la télé en fulminant... jusqu'à ce que ma mère me dise "mais arrête de t'énerver, regarde les gens que tu vois au cabinet : ils vous aiment, ils vous respectent, ils ont pas cette vision là"

    Et oui c'est vrai en fait. Oh bien sûr il y en a qui ont visiblement pas beaucoup d'estime pour notre travail, mais le nombre de patients qui viennent pour avoir notre avis sur ce que leur a dit le spécialiste vu rapidement à l'hôpital, qui demandent notre accord avant de prendre le traitement prescrit ?

    Mais ce ne sont pas non plus des remarques "réservées" au corps médical, combien de fois n'ai-je pas entendu dans mon entourage : "généraliste ? Tu ne veux pas aller plus loin ? Tu veux t'arrêter là ? Y'a rien qui te plaît ?" Grrrr

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  3. Bonjour,

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    Dans l’attente de votre réaction, et bien cordialement,

    L’équipe de rédaction de CareVox

    http://www.carevox.fr/
    redacteurs@carevox.fr

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  4. Marrant...c' est un peu le même "combat" entre professeur des écoles (instits pour parler "vulgairement") et professeurs du secondaire... Finalement, nous sommes des généralistes de l'enseignement alors que nos collègues du secondaire sont spécialisés dans telle ou telle matière.

    Leur tâche est-elle plus noble ou plus importante que la nôtre pour autant? Comme pour les spécialiste de la médecine, beaucoup d'entre eux en sont persuadés. Je suis, quand à moi, beaucoup plus sceptique sur la question.

    Ont-ils un meilleur rapport avec les enfants et leurs familles? Plus de considération pour eux? Par forcément, pas toujours...pas souvent même.

    Je suis d'accord avec Docman sur le thème "vos patients vous aiment et vous font confiance",tout comme nos élèves et leurs parents, c'est en effet capital et doit vous pousser à continuer à avancer.

    Ceci dit, une reconnaissance qui vient "d'en haut" l'est tout autant.Pas simplement dans le but de caresser vos egos (quoique,ça fait du bien parfois) mais surtout parce que c'est par la pleine réalisation de l'importance de votre métier que passera forcément cette amélioration de la formation des Généralistes pour laquelle tu milites.

    J'ai toujours eu une grande confiance et un grand respect pour les Généralistes, plus encore pour celui qui me suit actuellement... Et je trouve très rassurant que des gens comme toi se battent pour continuer à nous assurer le meilleur suivi médical possible au quotidien.

    Merci!

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    1. oups, on rajoute un "s" à spécialistes en ligne 4 svp...

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  5. C'est incroyable comme des petites remarques peuvent nous marquer toute une vie et influencer en bien notre parcours. Je partage complètement ton souvenir.
    Le choix de la médecine générale pose ensuite pas mal de questions: comment faire ce qui nous intéresse sans tomber dans la médiocrité? Est-ce que je fais la MG par facilité ou par goût? ...

    Je crois qu'on trouve la réponse à la deuxième question dans les témoignages des blogueurs qui partagent leur goût pour le soin et les plaisirs et la satisfaction quotidiens qu'ils procurent.

    Pour la première question, c'est plus complexe. Nous avons probablement besoin de la reconnaissance des spécialistes car ceux sont eux qui l'autorité du savoir (même si chacun peut en constater les limites parfois). Au-delà de leur qualité de soignant, leur fonction leur attribue un pouvoir et une responsabilité vis à vis de nous (les MG) : nous reconnaître comme compétents (s'ils ne le font pas, ça se fera sans eux et avec les patients de toute façon). En sens inverse, ils ont eux, besoin de notre confiance, s'ils veulent qu'on leur adresse des patients...
    Nous sommes interdépendants!
    Cela doit nous amener à coopérer, à nous entendre et à dépasser les préjugés. Je pense que dans la plupart des cas cela se passe bien.
    Les spécialistes peut-être se sentent en danger de reconnaître les qualités des MG et leur importance. Pourtant, il ne s'agit pas de faire une hiérarchie mais d'évoquer et de reconnaître la différence des savoirs-faire.
    Au lieu de cela, certains se limitent à voir le MG comme un interne de spé débutant et corvéable. Irritant.

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