dimanche 4 septembre 2016

Strapontin

"You have to show them that you're really not scared. You're playin' with your life, this ain't no truth or dare. They'll kick you, then they beat you, then they'll tell you it's fair, so beat it" (Beat it, Michaël Jackson)
(Tu dois leur montrer que tu n'as pas vraiment pas peur. Ils jouent avec ta vie, ce n'est pas "action ou vérité". Ils te mettront des coups de pied, te battront, puis ils te diront que c'est réglo, alors bats-toi)

Je suis resté 4 mois sans rédiger et pourtant ce billet me démange depuis longtemps.
Je n'ai pas pris le temps de le faire avant. Je n'ai pas eu envie sans doute non plus. Parce que je sais qu'il ne va pas forcément plaire, ou qu'il va m'attirer toute une série de trolls, ou qu'il va laisser complètement indifférent.

Bref...

Je ne comprends pas ce qui se passe ces derniers temps. Ou je ne le comprends que trop bien et c'est cela qui m'inquiète un peu plus...
J'ai plusieurs fois eu l'occasion d'écrire des billets "bisounours" et j'y écrivais combien Twitter, qui m'a beaucoup apporté personnellement et professionnellement, était sans doute un nid à Bisounours.

Mais les choses changent. C'est normal. C'est bien, même, parce que si rien ne changeait jamais, la vie serait particulièrement ennuyeuse je trouve.
Plusieurs échanges sont venus écorner cette espèce de bienveillance qui régnait initialement là-bas.

Il y a eu cette charge en règle contre l'amie Arnica parce qu'elle avait ironisé sur le lien entre maladie de lyme (due à une bactérie) et un traitement miracle que serait le régime sans gluten (où l'on supprime le blé de l'alimentation). Je ne vois toujours pas le lien entre ces deux choses ni comment on peut prétendre qu'il y ait un lien direct et infaillible entre elles.
J'ai pris position (mon bâton de pèlerin comme dirait Christine) pour tenter de dialoguer.
J'ai bien senti qu'une patiente essayait par tous les moyens de me faire dénigrer les patients atteint de Lyme, de nier leur douleur. J'ai bien été clair : en tant que médecin (et qu'être humain aussi) je comprends la douleur que ces patients atteints de Lyme peuvent ressentir et les répercussions sur leur vie de tous les jours. En tout cas j'imagine le calvaire que cela peut être, même si je ne le vis pas moi-même.

Puis il y a eu cet échange houleux impliquant une patiente qui voulait "casser le fémur" d'un ou une interne (je ne sais plus et je ne pense pas que ce détail soit important) parce qu'elle laissait souffrir son enfant. Et je livre là une version édulcorée de l'échange.
Je comprends la détresse et la colère des parents qui voient souffrir leur enfant. Je ne peux que trop bien l'imaginer. La colère excuse cela.
Mais quand, avec un peu de recul, les propos sont maintenus avec la même virulence, je m'interroge.

"Place je passe, je suis roi de mes rêves, souverain des libertés. Osez, rendez grâce à ce fou qui se lève. Place je passe, je suis roi de mes rêves, souverain de mes idées. Osez, rendez grâce au vilain épris de nobles pensées" (Place je passe, Mozart l'Opéra Rock)

Oui, je me demande comment on peut à ce point en vouloir à l'autre pour lui nier sa condition d'être humain et le respect que nous devons à celle-ci.
J'ai bien tenté d'échanger en indiquant que la bienveillance dans le notion de soins était réciproque. On me l'a reproché.

Et finalement, après coup, je me dis que j'avais tort. Je me suis trompé. Il ne s'agit pas de bienveillance. Les patients n'ont pas à être bienveillants avec leur soignant. Ils sont dans une situation de plus grande faiblesse et ce n'est pas à eux, en plus, de prendre soin de celui qui doit le soigner. 

Non, en fait, ce que j'ai faussement et maladroitement appelé "bienveillance" était pour moi une forme de respect. De respect de l'autre. De l'autre en tant qu'être humain.
Pas de respect avec un genou à terre, ce n'est pas de la dévotion. 
Mais il me semble qu'il est possible de ne pas être d'accord avec quelqu'un, voire d'être franchement opposé à lui/elle et à ses idées, sans pour autant en venir aux injures, aux menaces et au dénigrement.

Plus le temps passe, plus je me dis que ces "nobles pensées" qui sont les miennes, sont au mieux vaines, au pire complètement utopistes.

Alors je ne suis pas un saint, loin de là. Il y a des personnes que je ne supporte pas, qui m'énervent ou que j'espère secrètement ne jamais croiser dans la rue. Mais je ne vais pas aller le leur dire. Cette agressivité mènerait à quoi ?
A faire mal à l'autre ? Sans doute.
A me faire du bien ? Peut-être, en ayant eu l'impression de mettre battu et d'avoir pris l'ascendant...
Mais ça mènerait à quoi ? A montrer que je ne respecte pas l'autre.

"Est-ce qu'on a vraiment tout fait quand on a fait de son mieux ? Qu'est-ce qu'il restera de tout ça dans un siècle ou deux ? J'ai pris du plaisir, essayé de construire un peu, j'ai défié le temps, l'espace et quelques dieux. Mais qu'est-ce que j'laisse à ceux qui naissent ?" (Je laisse, Michel Fugain)

Je fais de mon mieux pour respecter.
Mais où est la limite entre diplomatie et malhonnêteté ?
Parce que ne pas dire ce qu'on pense à l'autre, est-ce vraiment le respecter ? Parce que ceux qui vous disent clairement les choses en face, elles, sont honnêtes et franches.
Et puis en général, même si vous vous en payez plein la figure et que vous rapportez la discussion à quelqu'un qui vous connaît tous les deux, la première réponse sera "Oh mais tu le/la connais... Il/Elle est comme ça".
Donc, si on excuse la franchise, il vaut mieux tout dire. Mais si on dit tout, on respecte moins ce que peut ressentir l'autre, puisqu'on est un peu égoïste au point de tout dire pour se soulager soi-même.

Parce que le respect vaut pour tout le monde.
Du saint des Saints qui n'a jamais rien fait de mal dans sa vie à celui qui a commis les pires atrocités. Parce que ne pas respecter un seul être humain, c'est ne pas respecter l'humanité entière, à mon sens.

Si vous avez tenu bon la lecture jusqu'ici, vous êtes en train de vous dire que je vais me présenter au concours Miss France 2017 je fais une "bisounoursite aiguë".
Ah mais non en fait, je viens de faire une blague sexiste qui sous-entendrait que les femmes, et les Miss en particulier, seraient (insérez ici toute remarque sexiste de votre choix).

Mais faire une blague (si nulle soit elle) sans arrière pensée aucune, est-ce manquer de respect ? Est-ce qu'on peut rire de tout ?
J'ai l'impression que c'est de moins en moins possible.
J'éclate de rire quand mes amis gays me disent "Cette activité (insérez ici une activité estampillée virile) c'est pas un truc de pédé !".
J'éclate de rire parce que je respecte l'auto-dérision. Je trouve qu'elle est la marque des êtres humains sincères. J'estime avoir de la chance car beaucoup de mes amis ont cette faculté.
Mais si cette blague était écrite sur Twitter, je suis certain qu'elle soulèverait un tonnerre de protestation. 

Il me semble pourtant que rire et respect peuvent être compatibles. On peut rire de tout. On doit rire de tout. Rire pour ne pas oublier qu'on existe. Rire pour adoucir le fait que l'issue sera la même pour tout le monde.
Rire et respecter.
S'arrêter si le rire choque. Etre diplomate là aussi ?

"Je ne sais pas comment te dire, j'aurais peur de tout foutre en l'air , de tout détruire. Un tas d'idées à mettre au clair depuis longtemps, mais j'ai toujours laissé derrière mes sentiments" (Je ne sais pas, Joyce Jonathan)

Je n'aime pas trop la voix de cette chanteuse. C'est pas mon truc. Mais est-ce pour autant que je dois dénigrer ceux qui aiment ? Non. Dois-je éviter de la citer ici, alors que les paroles collent bien au reste du billet ? Je ne crois pas.

Ne pas être d'accord, mais respecter. Ne pas être d'accord, mais accepter que l'autre puisse être différent de soi. 

"Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites,mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire" (Evelyn Beatrice Hall... même si certains ne sont pas d'accord et l'attribuent à Voltaire...)

Parce que oui, on me dit souvent que je me fatigue pour rien quand je tente de dialoguer sur Twitter avec certains représentants de patients qui pensent tout savoir sur tout, certains représentants administratifs qui pensent en savoir au moins autant, et certains médecins qui ont les mêmes certitudes.

Personnellement, je sais que je ne sais pas grand chose. Je sais que je fais des erreurs. Beaucoup. Dans le modèle judéo-chrétien dans lequel j'ai été élevé, je ne sais pas si jai gagné ma place au paradis... pas sûr d'avoir fait assez de bien autour de moi pour cela.
Par contre, si cela se joue sur le critère "respect de l'être humain", j'ai peut-être une chance d'avoir un strapontin...

5 commentaires:

  1. Oui, l'ambiance a changé. Mais après tout, c'est normal non? On est de plus en plus nombreux, donc on a de plus en plus d'échanges... bons ou mauvais. Je vois passer des discussions formidables, et je m'enthousiasme... et je vois passer des tweets haineux, et je passe mon chemin. À quoi bon?

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    1. Oui, les choses évoluent.
      Mais je trouve que pour nous, soignants, là où l'espace d'échange était intéressant et enrichissant, que cela vienne de discussions entre nous ou avec des patients, l'esprit a changé. Aujourd'hui, certains ne sont là que pour nous dire comment nous devons travailler, voire même nous menacer. Pour cela nous avons déjà IRL la caisse qui explique que nous ne faisons pas comme elle voudrait, nos politiques pour dire que nous ne travaillons pas assez ou nous ignorer quand nous avons besoin d'eux et les patients qui trouvent qu'on ne s'installe pas et qu'on prend trop de vacances.
      Dommage que ça devienne pareil...

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  2. Bon, je ne sais pas pour Twitter parce que je n'y vais pas mais oui malheureusement, IRL on peut perdre ses moyens parce que son enfant de quelques jours est malade (un truc bien flippant qui l'empêche de respirer ou lui fait avoir des analyses de sang pas normales) et qu'en face il y a un soignant qui a l'air d'en avoir rien à faire (et ce n'est pas le premier dans la semaine d'hospitalisation) alors pour obtenir gain de cause, on hurle.... Et c'est bizarre, après tout est + facile, on nous parle, on nous explique.. on nous respecte..

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