samedi 2 novembre 2013

Qui ne nie pas comprend

"A l'école quand j'étais petit, je n'avais pas beaucoup d'ami, j'aurais voulu m'appeler Dupont, avoir les yeux un peu plus clair. Je rêvais d'être un enfant blond. J'en voulais un peu à mon père." (Le Rital, Claude Barzotti)

Attention, scoop : je n'ai pas 100% de mes gènes français.
Mon père est né en Italie. Mais, tout un Corse vous répondrait "Je suis Français, mais Corse avant tout", mon père est né en Sicile. Italien mais sicilien avant tout.
Une petite ville. Sommatino. J'aimerais bien y retourner un jour.

Mais racines y sont en partie, j'en ai déjà parlé. Une autre partie est ici, bien française. Mais j'ai donc un pied en France, l'autre en Sicile, et le cœur un peu partout.

Alors, non, quand j'étais à l'école, ça allait, j'avais des amis. On avait un peu passé l'époque des "ritals" dénigrés lors de l'immigration des années 50.
Et puis, il y avait une autre immigration quasi concomitante : les Polonais (les "polaks"), les Espagnols, les Portugais... finalement, il y avait un mélange de plein d'origines et étant enfant, on s'en fichait royalement.
Enfin, non, on s'en amusait surtout.
C'est peut être ça qui fait que je suis à l'aise dans mon métier, là où j'exerce, dans la mesure où ne nombreuses nationalités différentes poussent la porte de mon cabinet. Chacun a ses croyances et ses représentations.
Il m'arrive de temps en temps de prendre quelques minutes pour en discuter avec mes patients. Comprendre les croyances de l'autre me permet de mieux les respecter et, j'en suis convaincu, mieux le soigner au final.
Je pense sincèrement que l'on peut faire coexister de nombreuses idées différentes sans avoir à faire "d'effort".
Je ne cherche pas à leur imposer mes croyances. Je suis catholique, et quand je parle avec un patient musulman et qu'il m'explique les fondements de sa religion, je trouve cela passionnant. Je comprends ses rituels, je lui explique les miens. On trouve même des points communs.

"Les mains serrées, ça c'est facile. Fermer les yeux, j'aime plutôt ça. Genoux pliés, pas impossible. Se taire un peu, "Mmm" pourquoi pas.Mais ma prière, elle est qu'à moi, j'y mets tout ce que j'aime, ce que j'espère, tout ce que je crois" (Prière païenne, Céline Dion)

Alors, je veux qu'il n'y ait plus de guerre dans le monde.
Et plus de gens malheureux. Et plus de pauvres non plus.
Et que tout le monde s'aime.

Voilà, je peux peut-être, avec des phrases comme celles-là, postuler pour Miss France, non ?

Si j'avais une prière à faire, après celle que je fais pour veiller sur ceux qui me sont chers, ce serait que tout le monde vive en harmonie. Bon, avec certaines valeurs quand même, bien sûr. Je crois dur comme fer à la valeur du travail, quel qu'il soit. Tous les travaux, tous les métiers sont utiles et doivent permettre de s'accomplir. Il faut travailler dur.

"Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. Polissez-le sans cesse et le repolissez : Ajoutez quelques fois et souvent effacez" (Nicolas Boileau dans l'art poétique)

Oui, ne pas se contenter de la médiocrité, comme me l'avait dit un professeur de première. J'en avais parlé ici.
Mais travailler tous ensemble dans le même but : le vivre ensemble en société.
Dans mon métier, je dois faire l'effort, sans que cela soit péjoratif, d'écouter le patient.
Ne pas nier ce qu'il m'apporte.

Par exemple, quand il me dit qu'il a mal quelque part mais que tous les examens sont normaux, cela ne veut pas dire qu'il n'a rien.
Il a mal.
Si je lui réponds qu'il n'a rien, le patient comprendra, à juste titre, que ce qu'il me dit n'est pas vrai. Qu'il n'a pas mal en fait.
Il pourra donc être tenté d'essayer toute une multitude de médecines parallèles. Mais pas les médecines éprouvées comme la médecine orientale ou la médecine chinoise par exemple. Non il risque de se tourner vers les charlatans qui en profiteront pour lui soutirer quelques beaucoup d'euros.

Alors que, si je lui dis que tous les examens sont normaux, que je n'ai pas d'explication à sa douleur, mais que je la comprends et vais tenter de trouver un moyen de la soulager un peu, à défaut de pouvoir agir sur un problème identifié, je lui montre que je ne nie pas ce qu'il vit au quotidien et est le seul à pouvoir m'expliquer.
La douleur est subjective. Ma douleur à moi sera différente de la vôtre, même si nous souffrions de la même pathologie.
Là où je n'autoriserais personne à expliquer mieux que moi ce que je ressens, comment oserais-je expliquer au patient que ce qu'il me décrit n'existe pas ?

"Peurs contre peurs, nous sommes d'ici, elle est d'ailleurs. Peurs contre peurs, un jour elle est partie. Nous sommes restés, nos peurs aussi.
Qu'est-ce qu'on aurait dû ? Qu'est-ce qu'on aurait pu ? Personne n'y peut rien, chacun son destin. Ici, c'est comme ça, c'est chacun pour soi, on demande rien.
Qu'est-ce que vous croyez, c'est partout pareil, nos yeux, nos oreilles, vaut mieux les fermer.
Ici, tout est dur, on aime les serrures, pas les étrangers" (Peurs, Frédéricks, Goldman, Jones)


J'entends parfois le discours de certains partis. L'une des ses dirigeantes est extrêmement adroite. Elle joue sur les peurs. La peur des étrangers, l'insécurité...
Ce sont des craintes ressenties par certains français actuellement.
La réponse de nos pouvoirs publics est de répondre qu'il n'y a pas d'insécurité, qu'il n'y a pas de problèmes et que les électeurs de ces partis sont tous xénophobes.

Je n'arrive pas à y croire.
Un quart de la population ? Vraiment ?
Ou s'agit-il seulement d'une réaction "réflexe".
Quand les français expriment leurs peurs, leur douleur, on leur répond que ce n'est pas vrai. Qu'ils ne doivent pas avoir peur.
On cherche donc à dire à leur place ce qu'ils ressentent.
Comme nos patients dont on nie la douleur.

Les français réagissent comme nos patients. On leur dit qu'ils n'ont pas de raison de ressentir ce qu'ils ressentent. Ils se reportent alors sur des partis parallèles qui leur donnent l'impression d'être écoutés et entendus.

Cette situation me fait peur. Ma peur à moi, c'est de ne plus reconnaître un jour le pays qui a accepté ce petit garçon de 3 ans à la fin des années 50, qui arrivait de sa Sicile natale. Il a débarqué dans le nord et a eu froid (tu m'étonnes...).
Mais il a travaillé, travaillé dur. Il a respecté les règles qu'elles soient administratives pour l'immigration, ou autre. Il est devenu français de nationalité à sa majorité.

Et aujourd'hui, je suis donc moitié français, moitié français. Génétiquement, moitié français, moitié sicilien. Avec des petits bouts d'Etna dans le caractère... on ne va pas renier ses racines non plus...

J'aimerais que les pouvoirs publiques essaient d'écouter et de comprendre ses concitoyens plutôt que de jouer les moralisateurs à outrance. Juste histoire d'éviter que les résultats des prochaines élections ne soient fidèles aux sondages d'aujourd'hui.

"Et si j'étais né en 17 à Leidenstadt, sur les ruines d'un champ de bataille. Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens, si j'avais été allemand ? Et qu'on nous épargne à toi et moi si possible très longtemps d'avoir à choisir un camp" (Né en 17 à Leidenstadt, Jean-Jacques Goldman)

Oui. Comme quand j'étais enfant. Ne pas nier nos différences, mais plutôt en rire. Nous sommes riches de nos différences. Nous nous complétons tous, pour peu que l'on veuille bien y mettre chacun du nôtre.